« Le vrai pèlerinage de Chartres, celui de Péguy », sous ce titre Témoignage Chrétien du 13 juin a repris sous une forme allégée le billet de blogue publié ici sous le titre « Péguy : le chemin, les traces ». Le titre choisi fait suite à la relation par Bernadette Sauvaget du pèlerinage de la chrétienté : « Pèlerinage de Chartres : la venue d’un anti-François notoire ».
J’aime Péguy. J’aime penser avec lui, et aussi très souvent contre lui. Ce sont les raisons qui font de lui un croyant qui font de moi un agnostique. J’aime son christianisme radical, qui constitue pour moi une force de rappel dans le discernement toujours difficile que nécessite l’exercice de l’éthique de responsabilité.
C’est pour méditer sa pensée et sa poésie que je suis parti de Palaiseau le samedi 25 mai afin de rejoindre Chartres en quatre étapes, par le chemin tracé par les Amis de Péguy en mémoire de celui que le fondateur des Cahiers de la quinzaine emprunta par deux fois, en 1912 et en 1913. Une association créée en 1942 pour lutter contre la récupération de sa pensée par le régime de Vichy, alors que l’un des premiers tracts de résistance, diffusé le 17 juin 1940 par Edmond Michelet, était constitué de citations de L’Argent. Un pèlerinage solitaire, bien différent de celui organisé chaque année à la Pentecôte depuis 1983 par Notre-Dame de chrétienté ; une chrétienté que Péguy n’identifiait pas avec le régime théologico-politique mis en place à partir du règne de l’empereur Constantin et que veulent rétablir ces héritiers de Maurras.
Bien sûr, j’ai parfois du mal avec sa foi de paysan de la Loire et sa tendance à la mariolâtrie. Mais le rythme pédestre des alexandrins de la Présentation de la Beauce à Notre Dame de Chartres est celui du chemin, pour lui plus important que la destination, et les longues litanies du Porche du Mystère de la deuxième vertu aboutissent à ce magnifique hymne à la nuit, cette nuit qui permet à Dieu lui-même d’enterrer son fils.
Je ne prise guère son antimodernisme aux relents parfois réactionnaires. Mais je vois aussi dans sa critique de la modernité une critique spirituelle du capitalisme qui renoue avec l’inspiration évangélique. Je vois dans la dénonciation du primat de la valeur d’échange – cet « universel avilissement » – sur les autres valeurs une critique par anticipation de l’extension infinie du domaine du marché chère aux néolibéraux.
J’aime sa mystique républicaine, son engagement « pour l’établissement de la république socialiste universelle ». J’aime son avertissement « Tout commence en mystique et finit en politique », mais sans oublier la suite : « L’essentiel est que, dans chaque ordre, dans chaque système, la mystique ne soit point dévorée par la politique à laquelle elle a donné naissance. »
J’aime le dreyfusard et sa lutte prophétique contre l’antisémitisme, exprimée en des termes prémonitoires à méditer au moment où nous condamnons un sionisme meurtrier : « Je connais bien ce peuple. Il n’a point sur la peau un point qui ne soit pas douloureux, où il n’y ait pas un ancien bleu, une ancienne contusion, une douleur sourde, la mémoire d’une douleur sourde, une cicatrice, une blessure […] »
J’aime par-dessus tout sa quête de la vérité, « la vérité bête », « la vérité ennuyeuse », « la vérité triste », qu’il ne transforme pas pour autant en théorie : « Une grande philosophie n’est pas celle qui installe une vérité définitive, c’est celle qui introduit une inquiétude. »
Paris, le 13 juin 2024
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