Avec un collectif d’universitaires et de syndicalistes, j’ai cosigné une lettre ouverte aux responsables d’EE-LV et du Parti socialiste qui plaide pour une liste unique entre les deux partis lors des élections européennes de 2024 et qui est parue le 28 septembre dans le quotidien Libération .
Cher.e.s Marie, Raphaël, Marine et Olivier,
Comme vous le savez, les élections européennes de 2024 interviendront à un moment crucial pour l’avenir de l’Europe avec l’agression russe contre l’Ukraine, la montée en puissance des régimes autoritaires à l’échelle mondiale et la crise climatique qui s’accélère. Au sein de l’Union elle-même, la montée de l’extrême droite et la perméabilité croissante entre celle-ci et la droite classique menacent la construction européenne. Deux ans après les élections de 2022, elles seront également en France une étape importante pour sanctionner la politique autoritaire, antisociale et antiécologique d’Emmanuel Macron et préparer les échéances de 2027.
Face à ce double enjeu, les gauches et les écologistes se trouvent actuellement en position de faiblesse du fait notamment de leur division. Il semblerait en effet qu’au moins quatre listes différentes chercheront à capter les voix de cet espace politique. Si on en croit les études d’opinion, aucune d’entre elles ne parviendrait à dépasser significativement le seuil de 10 % des voix, laissant ainsi un boulevard aux macronistes et à l’extrême droite.
La France Insoumise propose une liste unique rassemblant toutes les forces qui avaient constitué la NUPES en 2022. Les études qui ont testé cette hypothèse montrent toutes que celle-ci entrainerait une importante déperdition de voix, et donc d’élu.e.s, par rapport à des listes séparées. Ce n’est guère surprenant, compte tenu des divergences significatives entre les différentes composantes de la gauche sur les principaux enjeux européens et internationaux, et en particulier sur la guerre d’agression contre l’Ukraine et l’attitude à l’égard des régimes autoritaires.
Nous comprenons donc vos réticences à l’égard d’une telle démarche. Dans le contexte actuel, il n’est dans l’intérêt de personne de faire encore rétrécir une gauche déjà affaiblie à l’occasion de ces élections dont le mode de scrutin est proportionnel. Dans une Europe où l’opinion se droitise, il faut au contraire, en France comme ailleurs, élire un maximum de députés de gauche pour éviter que le Parlement Européen n’adopte les positions autoritaires, xénophobes, antiécologiques et antisociales défendues par l’extrême droite. De plus, si toute la gauche réunie en était réduite à ne rassembler qu’un électeur sur quatre ou sur cinq en juin prochain, cela handicaperait ses chances d’apparaitre comme une alternative crédible pour 2027.
Il nous paraitrait cependant regrettable de présenter, comme cela semble devoir être le cas, d’une part une liste socialiste conduite par Raphaël Glucksmann et d’autre part une liste écologiste menée par Marie Toussaint. Nous constatons que le Parti Socialiste a rompu avec l’orientation qui l’avait conduit à mener en France une politique antisociale et à soutenir en Europe des politiques néolibérales durant le mandat de François Hollande. Et il fait clairement sienne désormais une conception ambitieuse de la transition écologique. Quant aux écologistes, ils montrent dans les villes qu’ils et elles dirigent qu’ils sont eux aussi capables de gérer. Sur les enjeux principaux qui sont au cœur de cette élection – lutte contre la crise climatique, guerre contre l’Ukraine et attitude à l’égard des régimes autoritaires – nous ne parvenons pas à distinguer de divergence significative entre les positions des un.e.s et des autres. La cohabitation de ces deux listes défendant des positions quasi identiques sur les enjeux essentiels pour l’Europe risquerait surtout d’aggraver encore la confusion et la démobilisation à gauche lors de ces élections.
Nous avons en revanche la conviction qu’une liste rassemblant socialistes et écologistes pourrait permettre un surcroit de mobilisation et serait en mesure de jouer dans la même cour que la liste macroniste et celle du Rassemblement National. En rééquilibrant le rapport des forces interne à la gauche qui avait résulté en 2022 du contexte très particulier de l’élection présidentielle, elle renforcerait de plus les chances que celle-ci puisse, réunie, apparaitre de nouveau comme une alternative crédible au macronisme et à l’extrême droite lors des prochaines échéances nationales.
Nous n’ignorons pas le poids des logiques internes à vos organisations qui poussent à la multiplication des listes aux élections européennes mais nous vous demandons de faire passer l’intérêt supérieur de la gauche, de la France et de l’Europe avant ces logiques partisanes.
Les cosignataires
François Dufour, syndicaliste paysan
Guillaume Duval, essayiste
Marion Fontaine, historienne
Daniel Lenoir, ancien dirigeant d’organisme de protection sociale
Nadine Levratto, économiste
Edouard Martin, ancien syndicaliste
Fréderique Matonti, politiste
Solen Menguy, administratrice de « Sauvons l’Europe »
Christophe Prochasson, historien
Guillaume Sacriste, politiste
Frédéric Sawicki, politiste
Lucile Schmid, responsable associative
Xavier Timbeau, économiste
Antoine Vauchez, politiste
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