Si l’on met à part le sacrifice symbolique de l’ENA sur l’autel des ronds-points, on peut trouver beaucoup de choses positives dans l’intervention d’Emmanuel Macron jeudi soir : du renforcement du système de garantie du paiement des pensions alimentaires (même si on ne sait pas exactement le mécanisme qui sera retenu), à la réforme du Cese pour y introduire des membres tirés au hasard, de la généralisation des maisons de service aux publics sous le nom de France-Service, à l’élargissement des possibilités d’utilisation du référendum d’initiative partagée, de la généralisation du service civique à la réaffirmation des principes de la laïcité mais en luttant de façon plus claire contre l’islamisme radical.
Alors pourquoi ce doute, ce sentiment d’insatisfaction, après l’avoir écouté. Bien sûr, c’était le risque de ce grand débat : faire remonter des aspirations si fortes et si contradictoires que le retour à la réalité des politiques publiques ne pouvait qu’être décevant. Mais il y a aussi dans ce goût amer de « tout ça pour ça » quelque chose de plus fondamental qui marque les limites du « en même temps » macronien, et qui tient au réglage de la politique économique, sociale et environnementale.
D’aucuns, notamment à gauche, avaient espéré que le « macronisme » pouvait accoucher d’une nouvelle synthèse ; comme en son temps le keynésianisme dans son mariage improbable avec la social-démocratie avait permis de concilier des objectifs économiques et sociaux longtemps considérés comme contradictoires. Une nouvelle synthèse qui assume une plus grande place redonnée aux mécanismes de marché dans la régulation économique, mais en en corrigeant les défauts et en favorisant les mutations nécessaires de l’Etat-providence pour l’adapter aux enjeux du 21ème siècle ; l’ensemble s’inscrivant dans un objectif de retour, non à une croissance destructrice, mais restauratrice de l’habitabilité de la planète. Certes ce dernier point n’était pas le plus développé du projet du candidat « en marche », mais la nomination de Nicolas Hulot à un poste important au sein du gouvernement laissait espérer que ce qui n’avait pas été pensé assez pendant la campagne pourrait être travaillé ensuite.
Las le social comme l’environnemental, au lieu d’être des objectifs à part entière de la politique économique en optimisant la dépense qui leur est consacrée pour investir dans l’avenir (celui des enfants et des jeunes, notamment, comme celui de la planète), ont été asservis à une politique budgétaire simpliste qui, conformément à l’orthodoxie libérale visait, non seulement à réduire les déficits et la dette, ce qui est une exigence nécessaire, mais aussi à diminuer les prélèvements ; ce qui, les deux combinés, obligeait à exercer une pression trop rapide et trop brutale sur les dépenses comme cela s’est vu, de façon emblématique dès le début du quinquennat, avec la réforme improvisée des allocations logement ; une réforme qui s’est apparentée à la technique du sapeur Camembert : celui qui remplit un trou (la baisse des allocations logement) en en creusant un autre à côté (la réduction sociale de loyer, qui vient la compenser, mais payée par les offices hlm, et asséchant ainsi des réserves qui auraient pu être mieux utilisées pour rénover les logements sociaux et en construire de nouveaux). C’est pour la même raison que le produit de l’écotaxe a contribué à l’équilibre général des dépenses publiques au lieu d’être réinvesti dans la transition écologique, et notamment amortir son impact pour les plus modestes. C’est au même motif que certains ministres, et non des moindres, ont plaidé récemment pour un recul à soixante-cinq ans de l’âge de la retraite pour dégager des économies supplémentaires, alors qu’elles ne sont pas nécessaires, et ce au mépris des engagements de campagne et au risque de mettre en péril la réforme structurelle engagée par Jean-Paul Delevoye ; ou encore proposé la création d’une nouvelle journée de solidarité pour financer la dépendance, plutôt que de retenir la solution préconisée par Dominique Libault de réorienter la contribution pour le remboursement de la dette sociale une fois celle-ci amortie. Calculs de court terme, dont il n’est même pas certain qu’ils auraient eu le rendement escompté.
Comme l’a indiqué très clairement Edouard Philippe dans sa conclusion du grand débat, et comme l’a confirmé dans ses silences le Président de la République jeudi soir, ce cocktail, plus libéral que social et encore moins environnemental n’est pas remis en cause : il faut baisser la dépense, non seulement pour réduire les déficits, mais aussi pour diminuer les prélèvements. Le résultat est catastrophique. Non seulement cela laisse d’autant moins de marges pour investir dans un grand plan de rénovation de l’Etat providence, comme c’était l’ambition du plan pauvreté, et dans un grand plan de transition environnemental, comme c’était l’ambition du big bang préconisé par Pascal Canfin, que sans avoir pour autant éteint l’incendie, l’effet des diverses mesures prises depuis décembre a amputé ces marges de manœuvre de plus de 25 milliards d’€. Mais de surcroît il est de plus en plus improbable qu’on arrive même à réduire les déficits : car le programme de diminution des impôts va continuer, avec un abaissement des tranches basses de l’impôt sur le revenu, qui ne bénéficiera pas qu’aux classes moyennes, mais aussi aux plus riches, sans que ce soit compensé par une ou plusieurs tranches supplémentaires pour les plus haut revenu, qui aurait fait droit à une demande forte de plus grande justice fiscale. Et ce quand nombre des mesures annoncées, pour la plupart justifiées (ré-indexation, partielle, des retraites, gel des fermetures de classes et d’hôpitaux, par exemple) vont limiter les capacités à réduire la dépense. On peut craindre que cette équation budgétaire probablement insoluble n’éteigne, en même temps, toutes les volontés réformatrices qui en avaient conduit beaucoup à voter Macron.
Paris, le 29 avril 2019
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