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Les principes de la République … contre le séparatisme ? (document de travail en débat)

En tant que membre du Conseil national des villes (CNV), j’ai eu l’occasion de participer à l’examen du projet de loi renforçant les principes de la République sur lequel il a été saisi pour avis.

L’association Démocratie & Spiritualités que je préside a souhaité faire une réunion interne sur ce projet de loi, au moment où commence son examen en commission, le mardi 19 janvier.

Dans la perspective de cette réunion, j’ai repris quelques réflexions personnelles sur les principales dispositions du projet de loi, que je livre, exercice inhabituel, comme document de travail sur ce blogue.

Les principes de la République …

contre le séparatisme ?

(document de travail en débat)

Comme l’a laissé entendre le Conseil d’État dans son avis, il n’y a rien de vraiment choquant dans le projet de loi confortant le respect des principes de la République. La question qu’on peut se poser en revanche, c’est : de quoi ce  projet de loi est-il le nom ? Il a d’ailleurs été difficile d’en nommer l’objet. Pas « la laïcité », récusée par le Président de la République dans son discours des Mureaux, et ce même si il a été adopté par le conseil des ministres le jour anniversaire et symbolique de la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État. Mais plus non plus « le séparatisme », ni au pluriel, ni au singulier, puisque cette terminologie pour moi inadaptée au sujet a été abandonnée, du moins dans le projet, sinon dans les discours. On s’est donc rabattu sur les « principes républicains », puis sur suggestion du conseil d’État, sur les « principes de la République ».

Un projet difficile à nommer et en grande partie illisible, car il touche à plusieurs domaines du droit et constitue une sorte de projet portant diverses mesures d’ordre républicain ; comme il y avait autrefois des projet de loi dits « DMOS » (diverses mesures d’ordre social), projets de lois fourre-tout, auxquels l’effet combiné de la création des lois de financement de la sécurité sociale et de la jurisprudence du conseil constitutionnel a mis fin. Et un projet dont on peut se demander s’il était vraiment nécessaire, sans même s’interroger sur son opportunité.

Il y a bien sûr, même si ce n’est pas la totalité du texte, des dispositions sur la laïcité et surtout sur la séparation des Églises et de l’État, titre exact de la loi de 1905 qui n’utilise pas le terme, mais avec laquelle on la confond souvent.

Les premières visent à étendre l’obligation de neutralité à l’ensemble des collaborateurs des services publics, et non aux seuls fonctionnaires. Il n’était pas indispensable de légiférer sur ce point car celle ci résulte d’une jurisprudence établi en 2013 en validant la décision de la caisse primaire de Bobigny en 2003 d’interdire le port de signes religieux par leurs collaborateurs, et dont je m’honore d’être à l’origine : dans cet arrêt la cour de cassation a confirmé que l’obligation de neutralité s’appliquait aux salariés des caisses de sécurité sociale bien qu’elles soient des organismes de droit privé, parce que chargée d’une mission de service public.

Au delà des principes juridiques et de leur application, le principal effet recherché du texte est d’interdire le port du voile par les collaboratrices des services publics locaux, comme les crèches ou les transports municipaux, ce qui va focaliser à nouveau le débat sur le voile, tant il est plus facile de l’interdire que de prohiber les signes masculins de l’appartenance à l’islam : difficile de mesurer la taille des barbes ou des pantalons. Pour autant, je suis pour ma part favorable à cette disposition, à condition qu’on l’applique avec la même rigueur au port de la croix, de la kippa, ou de tout autre signe religieux, masculin ou féminin, par les collaborateurs des services publics. Et en rappelant aussi que cette interdiction ne s’applique pas aux usagers du service public, que le principe de neutralité oblige à accueillir, quelque soit leur habillement, comme de façon général dans l’espace public, comme l’a rappelé le conseil d’État en annulant les arrêtés municipaux contre le port du burkini sur les plages.

A cet égard, en proposant d’«interdire le port de tout signe religieux ostensible par les mineurs dans l’espace public» et d’«interdire le port de tout habit ou vêtement qui signifierait pour les mineurs l’infériorisation de la femme sur l’homme», Aurore Berger cherche justement à y interdire le port du voile par les petites filles et adolescentes de famille musulmane, comme c’est déjà le cas à l’école. Si l’on peut comprendre le souci de protéger les filles d’une emprise religieuse qui inférioriserait la femme dès l’enfance, on peut aussi s’inquiéter d’une disposition qu’il faudrait, en toute rigueur, appliquer au port de la kippa ou de croix ostensibles par des enfants ou des adolescents dans l’espace public. On voit là les limites de l’approche législative, sur des sujets dont l’enjeu relève davantage du combat idéologique au sein de chaque religion, notamment sur la question de l’égalité entre les femmes et les hommes, et sur l’éducation des enfants à la liberté, y compris de religion.

Sur le terrain de la laïcité aussi, ou plus exactement de la séparation des Églises et de l’État, le projet de loi modifie aussi certaines dispositions relatives à la police des cultes. En fait elles ne font, pour la plupart que renforcer les peines encourues pour les manquements aux obligations ou interdictions posées par la loi de 1905. Leur principal intérêt est de rappeler l’existence d’une police des cultes -c’est le titre 5 de la loi de 1905-, trop souvent oubliée par les tenants d’une laïcité dite « ouverte » ou, pire, « positive », et qui résulte du fait que l’espace du culte est un espace public, et donc que les cérémonies religieuses sont des réunions publiques et non des réunions privées.

Toujours sur le même terrain de la loi de 1905, le texte modifie, à vrai dire à la marge, les dispositions applicables aux associations cultuelles. La principale, d’ailleurs contestée par plusieurs religions, c’est l’obligation de renouvellement de la déclaration tous les cinq ans. J’avoue que j’ai du mal à comprendre cette contestation : après tout, cela permet de vérifier que les associations existent toujours, ce qui serait également nécessaire pour les associations loi de 1901.

En revanche le législateur ne sera pas saisi sur une anomalie, probablement anticonstitutionnelle, l’assimilation -depuis un compromis en 1924 entre le Vatican, qui refusait la loi de 1905, et le gouvernement français, et que le Conseil d’État a bien voulu à l’époque considérer comme conforme à celle-ci-, à des associations cultuelles des associations diocésaines dont l’objet ne couvre pas l’exercice des cultes -qui reste réglé par le seul droit canon-, et dont la présidence est de droit confiée à une autorité, l’évêque, nommée par un État étranger, et donc, nécessairement à un homme. Tout autant que les dérives djihadistes de l’islam, les difficultés qu’ont entrainé ce cadre juridique dans les affaires de pédophilie dans l’Église catholique, aurait pu conduire le gouvernement a régler cette situation.

Le projet de loi intervient aussi sur les associations loi de 1901, qui restent autorisées à pratiquer des activités cultuelles, à condition d’être soumises, pour celles-ci, aux mêmes règles, notamment comptables, et donc aux mêmes contrôles, que les associations cultuelles.

Mais la disposition la plus symbolique concernant les associations est celle qui conditionne l’attribution de subventions publiques à la signature d’un contrat d’engagement républicain de « respecter les principes de liberté, d’égalité, notamment entre les femmes et les hommes, de fraternité, de respect de la dignité de la personne humaine et de sauvegarde de l’ordre public ». Ce dispositif qui s’appliquerait aussi aux fédérations sportives, n’a rien de choquant pour des organismes qui remplissent, non, certes, des missions de service public, mais des missions d’intérêt général financées sur fonds publics. C’est d’ailleurs ce que visaient les diverses chartes mises en place par certains organismes publics, dans la foulée de celle que nous avions mise en place pour la branche famille de la Sécurité sociale en 2015. Mais, en même temps cela va vider ces dispositifs innovants de leur substance, et donc de leur utilité, et substituer à une régulation concertée -et donc permettant un travail d’appropriation pédagogique par les acteurs- adaptée à chaque domaine et relevant du « droit souple », une régulation légale, étatique, et imposée par décret : là encore on peut s’interroger sur la nécessité de  passer par la loi alors que des méthodes plus souples étaient utilisables.

L’autre disposition concernant les associations « loi de 1901 » vise à contrôler les reçus fiscaux émis par les associations, de façon à pouvoir recouper avec ceux déclarés par les donateurs, et à vérifier la réalité des dons effectués. Dans le même ordre d’idée, le projet introduit des dispositions permettant d’éviter les dérives des fonds de dotation, créés en 2008 pour fournir aux entreprises un outil plus souple que les fondations pour développer leur mécénat, mais avec des risques de dérives importants. Ces dispositions qui visent à mieux contrôler des dons et legs qui font l’objet de déductions fiscales généreuses sont légitimes de la part de l’administration fiscale, mais elle constituent clairement un cavalier législatif, dans la mesure où leur motivation générale est bien plus large que le simple contrôle du financement d’activités mettant potentiellement en cause les principes de la République et aurait du trouver leur place dans une loi de finances.

Une autre catégorie de mesures concerne les droits des personnes : égalité des enfants héritiers, prohibition de la polygamie, protection contre les mariages forcés et interdiction faite aux professionnels de santé de délivrer des certificats de virginité. Là encore, il eut mieux valu d’introduire cette disposition dans le code de déontologie médicale, plutôt que de mettre en place une prohibition législative, ce qui aurait rendu plus facile la gestion par les médecins de ces demandes. De façon générale ces dispositions ciblent des pratiques totalement répréhensibles, issues d’une lecture contestable de la loi religieuse par les courants fondamentalistes de l’islam, mais au risque, là encore, de donner le sentiment de stigmatiser cette religion.

Dans le même ordre d’idée le projet limite les possibilités de déroger à l’obligation scolaire et les possibilités de contrôle sur les établissements privés hors contrat. Ce qui a suscité des interrogations sur les limites apportées à la liberté d’enseignement. A contrario, faut-il laisser prospérer des cadres d’enseignements dont le but est essentiellement religieux et qui conduisent remettre en cause les connaissances scientifiques ou historiques, au nom des dogmes religieux ?

Au final, seule trois dispositions, probablement les plus importantes, visent à prévenir des événements dramatiques comme ceux qui ont conduit à la décapitation de Samuel Patty, dont il faut rappeler qu’elle est postérieure à l’annonce du projet de loi, et plus généralement le développement sous couvert d’islamisme radical, du terrorisme djihadiste.

Il s’agit d’abord de protéger les enseignants, les hospitaliers, et tous les agents exerçant une mission de service public contre les formes de pression visant “une application différenciée” des principes du service public en réprimant les menaces et les comportements violents commis à leur encontre et de renforcer le dispositif de signalement à la disposition des agents publics contre ces menaces.

Il s’agit ensuite de créer une nouvelle incrimination pénale de mise en danger de la vie d’autrui, par la diffusion d’informations relatives à la vie privée, sur les réseaux sociaux, avec des peines renforcées lorsque sont visés des agents du service public.

Enfin le gouvernement a retenu l’option de modifier le code de procédure pénale pour lutter contre les propos haineux sur les réseaux sociaux, qui relèvent aujourd’hui de la loi de 1881 sur la liberté de la presse.

Dans le même ordre idée, le projet de loi assouplit les dispositions issue de la loi du 10 janvier 1936,  et permettant la dissolution administrative des associations et groupements de fait troublant gravement l’ordre public ou portant atteinte à des droits et libertés fondamentaux.

L’ensemble de ces dispositions qui pourraient faire l’objet d’un relatif consensus, à l’exception peut-être de la dernière, dans la mesure où les nécessités de lutter contre le terrorisme et de circonscrire le terreau islamiste sur lequel il prospère sont assez largement partagées, auraient pu se substituer quant à eux aux dispositifs prévus dans la fameuse et mal ficelée proposition de loi de sécurité globale, notamment son fameux article 24, en lui substituant un nouveau titre visant non seulement la sécurité, certes légitime, des policiers et des gendarmes, mais aussi de l’ensemble des agents publics, qui l’est tout autant.

Au total, fallait-il un projet de loi dédié pour introduire toutes ces modifications : rien n’est moins sûr.

D’abord, comme on l’a vu, de nombreuses dispositions existaient déjà et ce serait déjà bien, comme l’a rappelé Patrick Weil dans Libération, de commencer par les appliquer, ou les faire appliquer, avant de les durcir. Comme l’a indiqué également la Défenseure des droits Claire Hédon, l’action publique se replie “une nouvelle fois dans la facilité apparente de la restriction des libertés” pour “atteindre un objectif d’intérêt général”.

En effet, une loi ne fait pas à elle seule une politique publique : elle interdit, ou au mieux, organise des libertés, c’est tout ; et comme l’avait indiqué il y a quelques temps Tareq Obrou, « malheureusement, «l’extrémisme» n’est pas un délit. Il ne peut pas être éradiqué par des lois ». La prévention de la radicalisation a d’ailleurs été mise en place par une simple circulaire signée du ministre de l’intérieur en 2014, en en confiant la responsabilité au secrétaire général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation, à l’époque Pierre Ngahane. Et la lutte contre le poison de la radicalisation islamiste nécessiterait que les principes républicains ne soient pas seulement défendus, mais aussi mis en œuvre, notamment ceux d’égalité et de justice sociale. Telle était l’ambition du plan Borloo, qui visait à « reconquérir les territoires perdus de la République », et dont on connaît le sort qui lui a été réservé.

Enfin, les hésitations terminologiques sont révélatrices des effets de l’hystérisation des débats sur les questions de l’islamisme radical et de la laïcité, prises en tenaille entre le déni des risques de la radicalisation, et la condamnation sans nuance des dérives d’une religion qui inspire la spiritualité d’une partie de nos concitoyens, et n’évitent pas les risques de stigmatisation, réels ou ressentis, des musulmans de France. Il y a un principe de la République sur lequel on ne peut légiférer mais qui devrait davantage inspirer les uns et les autres : c’est la fraternité.

Paris, Croulebarbe, le 17 janvier 2021

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