Qu’est-ce qui a pris à Eric Piolle de lancer le pavé du burkini dans les eaux calmes des piscines grenobloises ? Non que cette décision soit, comme certains l’affirment, contraire au principe de la laïcité : à moins d’un revirement d’une jurisprudence plus que centenaire -quand le conseil d’État annulait les arrêtés de certains maires, plus anticléricaux que laïques, interdisant sur la base de la loi de 1905 le port de la soutane ou d’autres habits religieux catholiques sur la voie publique-, le recours du préfet de l’Isère contre la décision du conseil municipal autorisant le port de ce vêtement de bain dans les piscines devrait rejoindre les annulations, en 2016, d’arrêtés municipaux interdisant, avec le soutien appuyé du Premier ministre de l’époque Manuel Valls, le port de ce même burkini sur certaines plages méditerranéenne. Car la loi dite « séparatisme » n’a rien changé au deuxième principe de la laïcité : l’obligation de neutralité, qui interdit le port de signes religieux, ne s’applique qu’aux agents des services publics et pas aux citoyens, ni en l’espèce aux citoyennes, qui ont le droit de manifester, y compris par leur accoutrement, leurs opinions religieuses dans l’espace public, dès lors que cela ne trouble pas l’ordre public. Et d’ailleurs c’est pour des raisons de sécurité, et non de laïcité, que le port du voile intégral qui cache le visage est prohibé, et de santé publique que certains habits de bains ne sont pas autorisés dans les piscines. Mais, était-il besoin de remettre de l’huile sur la plaie à peine cautérisée (du moins recouverte du voile silencieux de la Nupes) de la coupure sur cette question entre deux gauches longtemps irréconciliables ?
Surtout, en autorisant le port de ce vêtement dans les piscines grenobloise, l’édile écolo a rouvert la boîte de pandore des fantasmes de la société française dans ses rapports à l’islam. D’un côté, il alimente inutilement les chimères zémourienne du « grand remplacement », dont le résultat du candidat d’extrême droite laissait à penser qu’elles commençaient à passer au second plan. De l’autre, sous prétexte de faire sa place à l’islam dans les piscines, il s’est pris les pieds dans l’élastique du burkini : car les tartuffes islamistes ne bénissent pas un vêtement trop moulant qui n’arrête pas le regard concupiscent des hommes et leur revendication principale c’est d’avoir des créneaux réservés aux femmes. Ce burkini est finalement révélateur des ambiguïtés d’une revendication identitaire, qui est loin d’être majoritaire dans la population française de confession ou de culture musulmane, et qui tente vainement de concilier ce qu’elle comprend de sa tradition et de la modernité.
Comme le révèle son étymologie -la combinaison, si l’on peut dire, de « burka » cette tenue promue par les talibans et probablement la plus symbolique de l’enfermement vestimentaire de certaines femmes musulmanes, et de « bikini » désignation de l’érotisme, pour son créateur explosif, du maillot à deux pièces (tel qu’illustré par Ursula Andress sortant de l’eau dans un des premiers James Bond)- le mot valise « burkini » est un oxymore. Une contradiction probablement insoluble, … même dans l’eau des piscines grenobloises.
Paris, Croulebarbe, le 22 mai 2022
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