Pourquoi les services publics de proximité ferment-ils ? Tous les réseaux publics sont confrontés à une équation économique bien connue mais qui devient aujourd’hui insoluble. Insoluble, sauf s’ils se mettent ensemble pour maintenir une présence territoriale indispensable à l’heure de la révolution numérique.
Maisondeserviceaupublix : le village qui résiste
La France a développé, à partir du 19ème siècle, de denses réseaux de servives publics de proximité, qui ont contribué à faire République : la gare, le bureau de poste en ont été les principaux symboles, relayés ensuite par les agences du Crédit agricole, ou des caisses de Sécu. L’économie de ces réseaux est particulière ; contrairement à ce qui se passe dans les produits industriels, les coûts unitaires augmentent au fur et à mesure qu’ils s’étendent : atteindre un point reculé du territoire, pour un faible nombre d’usagers, coûte plus cher que de toucher la population nombreuse des grandes villes ; c’est d’ailleurs cette caractéristique qui les fait relever de ce qu’on appelle un monopole naturel. Le développement de la voiture individuelle, puis la révolution numérique qui abolit les distances pour ceux qui peuvent en bénéficier, a soumis ces réseaux à un effet de ciseau considérable : d’un côté le coût de leur maintien est de plus en plus élevé, puisqu’il est réparti sur un nombre de plus en plus faible d’usagers, de l’autre la privatisation et la mise en concurrence pour les uns, les contraintes budgétaires pour les autres réduisent la capacité des opérateurs à financer ces coûts supplémentaires. Résultat, tels les villages gaulois devant les légions de César, les services publics de proximité capitulent tous devant l’offensive numérique.
Tous, non. Certains résistent en se regroupant dans des Maisons de service au public (MSAP), expérimentées à partir de 2010 et généralisées par Manuel Vals en 2015 avec la loi Notre, et dans lesquelles La Poste s’est engoufrée pour sauver le soldat « postier ». L’idée de départ est séduisante. Il s’agit, non de rentabiliser, mais de mutualiser ce réseau de proximité en le mettant à disposition de l’ensemble des opérateurs, ce qui, évidemment en réparti les coûts sur un plus grand nombre d’activité et d’usagers, et en diminue le coût moyen pour chacun. Surtout, il s’agit de permettre à tous les usagers de bénéficier de la transformation numérique : pour ne laisser personne au bord du chemin, il ne suffit pas de généraliser les services numériques, il faut aussi que chaque usager ait accès à un ordinateur (tout le monde n’en a pas), connecté au réseau (il reste des zones blanches), donnant accès à des services qui fonctionnent (c’est à dire sans bugs), et avec pour certains d’entre eux un peu d’accompagnement (30 ans après la naissance d’internet, tout le monde n’est pas encore habitué à naviguer sur la toile). On a vu dans le dernier rapport du Défenseur des droits, avec l’exemple des cartes grises, ce qu’il advenait quand toutes ces conditions ne sont pas respectées.
Et le résultat n’est pas négligeable puisque ce ne sont pas moins de 1350 MSAP qui ont été créées depuis. Même si on n’est pas encore à une maison au moins par bassin de vie (ils sont près de 1700), on n’en est pas très loin, et on devrait dépasser si l’objectif de 1900 maisons est atteint fin 2019. Pourquoi alors cela n’a-t-il pas éteint dans l’œuf la colère des ronds-points contre la fermeture des services publics ?
Il y a d’abord un problème de visibilité : les MSAP ne constituent pas un réseau homogène, géré par un opérateur (500 sont portées par La Poste, et les autres par les mairies ou des associations) et sont à géométrie variable (tous les opérateurs ne sont pas présents partout, et certains comme la SNCF ou GRDF se sont désengagés).
C’est aussi un nouveau métier qui s’expérimente là, et on ne transforme pas du jour au lendemain facteurs ou employés municipaux en ces héritiers des écrivains publiques qui permettront aux usagers de s’y retrouver dans la Tour de Babel numérique des administrations.
Enfin le modèle économique n’est pas stabilisé : il restera plus couteux d’assurer ce service polyvalent de proximité que de concentrer les contacts avec le public dans des accueils spécialisés, mais c’est la condition de l’accès pour tous ceux qui ne peuvent s’yrendre. Or le financement de ces maisons repose sur un équilibre fragile entre les communes qui en assurent de plus en plus difficilement a moitié, l’Etat qui n’a pas augmenté sa contribution depuis 2014 et les opérateurs qui eux mêmes sont soumis à de fortes pressions budgétaires. Résultat : la création de nouvelle maisons des service au public est gelée jusqu’à nouvel ordre.
Paris, Lille, Paris, le 16 mars 2019
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