Dans son numéro du 14 mars, Témoignage Chrétien a repris sous ce titre, dans une version abrégée, mon billet publié ici sous le titre « Economie politique et écologie politique sont dans le même bateau », à propos du pacte social et écologique ».
Le 5 mars dernier, Laurent Berger et Nicolas Hulot présentaient un pacte pour « donner à chacun le pouvoir de vivre ». Une façon de réconcilier fin du monde et fins de mois.
Pacte Hulot-Berger, 66 pistes pour demain
Au moment de la conclusion du grand débat, il faut saluer le fait que dix-neuf organisations syndicales, mutualistes ou associatives, qui sont autant de corps intermédiaires entre une société civile introuvable et un État trop déconnecté des réalités sociales, se soient mises d’accord sur soixante-six propositions précises. Non par mépris pour l’expression directe des citoyens, « gilets jaunes » ou autres, mais parce que celle-ci aboutira nécessairement à un catalogue de demandes contradictoires, ou du moins non réalisables « en même temps ». Non par mépris pour les capacités des algorithmes et des technocrates à faire, dans cette masse de doléances et de données, le tri entre le bon grain et l’ivraie, mais parce qu’il faudra pour cela des critères d’arbitrage, qui sont aussi, comme leur nom l’indique, arbitraires.
Rien que sur la méthode, c’est-à-dire sur le tri et surtout l’élaboration, qui nécessite l’échange, le débat et la délibération, les propositions de ce pacte ont, non pas une valeur supérieure à cette expression directe et à son tamisage technocratique, mais une valeur ajoutée : celle d’un compromis positif entre des organisations qui ne défendent pas, a priori, les mêmes intérêts, ne portent pas spontanément les mêmes aspirations sociales et environnementales et ne s’appuient pas sur les mêmes engagements.
Et le résultat est impressionnant. D’abord, en termes de redéfinition des politiques publiques, et d’abord des politiques sociales. Car la plupart des soixante-six mesures relèvent de ces dernières, mais aussi des politiques fiscales, dont on oublie trop souvent la dimension sociale. Avec un objectif central essentiel tant pour le développement économique que pour la transition environnementale : « remettre l’exigence de justice sociale au cœur de l’économie ». Bien sûr, le pacte appelle aussi à une vraie politique de transition environnementale, avec la généralisation de l’application du principe « pollueur payeur », et donc la remise en valeur de la fiscalité écologique – démagogiquement remise en cause, par exemple par Ségolène Royal, au nom de son caractère soi-disant punitif –, mais à condition que le produit de ces taxes soit entièrement affecté à la transition écologique, en accompagnant les ménages, notamment les plus précaires, dans cette transition, et en adoptant « un plan d’investissement dans la transition écologique ». Mais le pacte esquisse aussi de nouvelles politiques publiques dans d’autres domaines, où il faudrait les développer en les orientant en fonction des objectifs sociaux et environnementaux : le logement d’abord, la mobilité et les transports aussi, mais également l’alimentation, par exemple. Illustration du fait que ceux-ci doivent non seulement faire l’objet de politiques publiques spécifiques, mais bien davantage – comme c’est le cas de la politique économique – inspirer toutes les politiques publiques.
Car, fondamentalement, c’est une vision intégrée de l’économique, du social et de l’environnemental qui inspire ce pacte ; à l’encontre de la pensée économique dominante, du néolibéralisme ambiant, qui réduit l’économie à l’acquisition des biens et des services marchands et ramène la politique économique à sa seule dimension budgétaire et fiscale, comme l’ultima ratio des politiques publiques ; à rebours d’une économie qui se rêverait hors sol, sans tenir compte des « biens communs », ni de l’humain, ramené à l’« homo economicus », ni de son habitat planétaire considéré comme un support sans valeur. Ce qui conduit à proposer de nouveaux indicateurs de richesse, autres que le seul PIB, et amène les signataires à mettre la lutte contre les inégalités au cœur des politiques économiques et sociales, car l’on sait qu’il y a un niveau d’inégalité qui devient socialement insoutenable et donc contre-productif au regard des exigences de la transition écologique.
D’où une esquisse de modes de gouvernance de ces « biens communs », qui ne peuvent être gérées par les seules « lois du marché », et qui réconcilient démocratie directe et démocratie représentative, avec notamment une réforme du Conseil économique, social et environnemental, pour porter aussi cette préoccupation des « biens communs », du niveau de l’entreprise à celui de l’Europe. Une nouvelle frontière pour une Union qui pourrait porter, en coopération, cette nouvelle politique économique, sociale et environnementale.
Paris, le 14 mars 2019
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