Sous le titre « Pauvreté au(x) rapport(s) », Témoignage Chrétien a repris dans une version abrégée le papier publié ici « La pauvreté existe : je l’ai rencontrée ». Sur deux rapports, celui du Secours catholique et celui de L’observatoire des inégalités, qui permettent de mieux comprendre la question de la pauvreté, et, au passage, de casser quelques idées reçues, comme l’avait fait en son temps l’ouvrage d’ATD pour « En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté » .
Pauvreté, au(x) rapport(s)
Le rapport annuel du Secours catholique sur l’« État de la pauvreté en France », sous-titré significativement « [En-quête] d’une protection sociale plus juste », vient de sortir ; il s’appuie sur les statistiques recueillies auprès des quelque 1,4 million de personnes rencontrées dans ses permanences, complétées, pour la première fois, par une enquête en ligne auprès de 3 000 personnes. En octobre, l’Observatoire des inégalités publiait quant à lui son premier « Rapport sur la pauvreté en France », en s’appuyant sur des statistiques officielles.
Comme toute question sociale, la pauvreté est un domaine où la complexité est de règle, et elle résiste même au chiffrage. Ainsi le nombre de pauvres : cinq millions pour l’Observatoire, qui retient le seuil de 50 % du revenu médian ; neuf millions pour le Secours catholique, qui retient, lui, le seuil européen de 60 %. Sans compter ceux invisibles pour les statistiques, cachés au sein des familles ou étrangers en situation irrégulière, que l’Observatoire évalue à près d’un million. De surcroît, la pauvreté n’est pas que monétaire : près de 8 % des personnes accueillies dans les permanences du Secours catholique sont au-dessus du seuil des 60 % mais cumulent des handicaps sociaux, ce qu’on appelle « la pauvreté en conditions de vie », la pauvreté scolaire, de l’emploi, du logement, des loisirs, des ressources énergétiques, de l’accès au numérique, et plus encore de l’isolement, qui s’accroît, notamment, pour les personnes âgées. Avant la couverture des besoins fondamentaux, y compris (pour 52 % d’entre eux) l’alimentation, c’est le contact humain, l’écoute, l’accueil, l’accompagnement que viennent d’abord chercher (pour 59 % d’entre eux) ceux qui fréquentent les permanences de l’ONG catholique : de quoi donner du baume au cœur aux près de 70 000 bénévoles qui les assurent.
Si la pauvreté a cessé d’augmenter à partir de 2013, elle a progressivement changé de visage : 40 % des ressortissants français accueillis par le Secours catholique sont les fameuses familles monoparentales, les femmes seules avec enfants. Chez les hommes, ce sont désormais les jeunes adultes qui apparaissent les plus fragiles. La part de la population pauvre d’origine étrangère augmente mais change également : moins de francophones (du Maghreb notamment).
La catégorie des travailleurs pauvres choque le sens commun. Le handicap ou de lourds problèmes de santé restent aussi des causes importantes de pauvreté.
Même si la France ne lui consacre pas « un pognon de dingue », le filet de sécurité y fonctionne mieux qu’ailleurs et les prestations sociales permettent à plus de cinq millions de personnes d’échapper à la pauvreté. Elle est, avec les pays scandinaves, l’un des pays d’Europe « où la pauvreté est la moins durable », signale aussi l’Observatoire. Ce filet comporte néanmoins des trous importants, par exemple pour les jeunes et les étrangers, et reste très bas. L’Observatoire, en comparant des indices des prix par déciles, montre qu’il coûte plus cher d’être pauvre que riche, et le Secours catholique propose de fixer un revenu minimum garanti de 850 euros. Reste le problème du non-recours au droit, que les deux rapports analysent en détail.
Autre constatation, le filet de sécurité ne joue pas assez son rôle de tremplin. Pour autant, le Secours catholique et l’Observatoire contestent, ou au moins relativisent l’effet dit « trappe à pauvreté » des allocations (qui conduiraient ceux qui en bénéficient à ne pas chercher de travail), notamment du RSA, en constatant que ceux qui travaillent y ont davantage recours que ceux qui ne travaillent pas.
Cette redéfinition des politiques de lutte contre la pauvreté, engagée avec la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté doit, pour le Secours catholique, s’inscrire dans un nouveau contrat social. L’Observatoire rattache la solution à la question de la pauvreté à celle, plus globale, du développement des inégalités : « L’évolution de la pauvreté est l’un des indicateurs les plus alarmants suivis par l’Observatoire des inégalités depuis quinze ans », rappelle son directeur, Louis Maurin. De son côté, le Secours catholique s’est lancé, avec d’autres, dans une « exploration citoyenne », dans laquelle s’est inscrit le questionnaire en ligne auxquels ont répondu près de 3 000 personnes et d’où ressortent quelques grands principes pour une protection sociale solidaire : dignité, justice, qualité, contribution, soutenabilité, démocratie, universalité. Tout un programme, mais c’est là une autre histoire.
Paris, le 27 novembre 2018
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