Sous le titre « Politique sociale : vers une simplification ? », Témoignage Chrétien a publié dans son numéro du 6 septembre une version abrégée de mon papier « Revenu minimum, revenu universel, allocation sociale (ou versement social) unique : comment s’y retrouver dans le maquis des concepts ? », que j’ai le plaisir de reproduire ici.
Le plan pauvreté devrait être annoncé ce mois-ci. La mise en place d’une allocation sociale unique est régulièrement évoquée. Aujourd’hui, trois modèles théoriques sont sur la table : le minimum social généralisé, le revenu universel ou d’existence, ou l’allocation sociale unique.
Politique sociale : vers une simplification ?
L’idée d’un revenu minimum s’est traduite en France par la mise en place d’un minimum social, avec le RMI (revenu minimum d’insertion), devenu RSA (revenu de solidarité active), avec sa composante RSA-activité qui constituait une incitation positive à la reprise d’activité. Malgré les bonnes intentions, cette réforme a été globalement un échec. La complexité du dispositif a conduit à un des taux de recours les plus faibles (moins d’un tiers de la population concernée), d’autant que la prestation se cumulait avec la prime pour l’emploi (PPE). Ce problème a été résolu avec la création de la prime d’activité, fusion du RSA-activité et de la PPE. Ne reste donc que le RSA dit socle, qui coexiste avec d’autres minima sociaux. Ce qu’avait pointé en son temps le rapport Sirugue, Repenser les minima sociaux : vers une couverture socle commune, qui proposait la fusion des dix minima sociaux existant. Ce scénario d’un minimum social généralisé est également celui proposé par le Conseil économique, social et environnemental avec le « revenu minimum social garanti ».
Le revenu universel d’existence, ou revenu minimum d’existence, a été défendu par Benoît Hamon, du moins dans la version initiale de sa proposition. Le projet est porté, depuis le début des années 1980, par des utopistes comme par des libéraux. Dans sa version la plus commune, il s’agit de verser un revenu identique à tout le monde, laissant à ceux qui le souhaitent la possibilité de le compléter avec des revenus d’activité : c’est ce qui motivait la proposition de Benoît Hamon, lequel considérait que la révolution numérique ne permettrait plus à tout le monde d’accéder à un revenu d’activité. Pour les utopistes disciples d’Ivan Illich et d’André Gorz, ce revenu d’existence, d’un niveau suffisant pour permettre la liberté de choix, devrait favoriser le développement des activités autonomes, c’est-à-dire hors marché et hors service public (activités considérées, elles, comme activités hétéronomes), et relevant davantage du don et du contre-don.
Dans sa version la plus libérale, il se substituerait à l’ensemble des mécanismes de sécurité sociale, y compris l’assurance maladie, chacun ayant, grâce à ce revenu, la liberté de s’assurer (ou pas) contre les risques de la vie. En revanche, il ne devrait pas être trop élevé pour éviter les effets de trappe à inactivité. Dans les deux cas, il conduit à verser un revenu d’existence à des personnes qui n’en ont objectivement pas besoin ; c’est la question posée à Benoît Hamon : « Va-t-on verser le revenu universel à Liliane Bettencourt ? » , qui a probablement contribué à en déconsidérer l’idée. Verser une prestation identique à tous nécessite de disposer de prélèvements équivalents, et donc à les augmenter artificiellement : ce qui a conduit finalement Benoît Hamon à adopter une solution de type « impôt négatif », avec déduction du montant du revenu d’existence de l’impôt sur le revenu.
L’allocation sociale unique n’est pas une solution intermédiaire entre les deux précédentes mais a sa logique propre : il s’agit de fusionner l’ensemble des prestations sociales d’entretien, d’où son nom. C’est aussi une forme d’impôt négatif, mais avec la logique, sous-jacente au RSA avec le RSA-activité, d’un dispositif qui intègre à la fois une composante dégressive en fonction du revenu, pour assurer la continuité avec l’impôt progressif sur le revenu et éviter tout effet de seuil socio-fiscal, et une composante progressive en fonction des revenus d’activités, afin de créer une incitation à l’activité. Dans sa version la plus complète, elle se substitue à la totalité des prestations sociales existantes qui n’ont pas le caractère d’un revenu de remplacement (comme l’ont les allocations-chômage, les indemnités journalières, ou les retraites), y compris les allocations familiales, les allocations logement ou le minimum vieillesse.
Cette idée se heurtait jusqu’alors à des difficultés techniques : pour calculer une allocation reposant sur de nombreux paramètres, notamment les revenus d’activité perçus, il faut disposer de cette information en temps réel ; ceci est désormais possible grâce à la généralisation des échanges de données, ce qui permet en outre de disposer d’une base ressource plus récente. Il est évidemment plus facile de verser le même montant à tout le monde ; mais est-ce vraiment juste ?
Le versement social unique, qui figurait dans le programme d’Emmanuel Macron, consiste, quant à lui, à verser toutes les prestations en même temps en utilisant les mêmes bases de calcul. C’est une mesure technique, de simplification, qui peut s’arrêter là, ou être une étape sur le chemin d’une allocation sociale unique.
Paris, le 6 septembre 2018.
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