La revue Regards, revue de l’EN3S (École nationale supérieure de la Sécurité sociale) m’a demandé, dans le cadre d’un numéro sur l’accès au soins de faire un point, ou plutôt un « contrepoint », sur l’accès aux services, en m’appuyant sur l’expérience de la branche famille.,,
J’ai rédigé ce papier en rejoignant, puis en revenant de l’Assemblée générale de l’association familiale laïque du Var, AFL-Transition, dirigée par Nathalie Rocailleux. Je le publie ici en avant-première. Une façon pour moi de rendre hommage à tous ceux qui, comme elle, consacrent leur activité à développer ces services sanitaires et sociaux d’intérêt général.
Prestations en espèces et prestations en nature sont dans le même bateau.
L’accès aux services, l’autre face de la Sécurité sociale
Réfléchir à l’accès aux services dans la branche famille, mais aussi dans les différentes branches de la sécurité sociale, au sens large, c’est-à-dire au sens européen[1], conduit à revenir à cette vieille distinction du droit de la Sécu, toujours pertinente, entre prestations en espèces et prestations en nature. Prestations en espèces, les revenus de remplacement, que ce soit les indemnités journalières pour l’assurance maladie, les pensions pour l’assurance retraite, mais aussi les allocations chômage ou le RSA, les compléments de revenu comme la prime d’activité, mais surtout celles qui permettent de faire face à certaines charges, comme les allocations familiales, les primes de naissance ou de rentrée scolaire ou les allocations logement[3], sans parler des « prestations fiscales », comme le quotient familial. Toutes les branches de la sécurité sociale ont fait dans ce domaine des efforts considérables tant pour limiter les risques d’abus ou de fraude[4] que pour favoriser l’accès au droit et, dans ce domaine, la branche famille a souvent montré le chemin, pour l’un comme pour l’autre[5], y compris en utilisant les techniques issues du « big data » et en développant une stratégie d’inclusion numérique, comme l’a montré le succès de la prime d’activité[6].
L’accès au service : une condition des prestations en nature
Prestations en nature et non prestations en espèces, celles qui permettent de bénéficier de soins (qu’il s’agisse de prodiguer des soins, cure ou de prendre soin, care) pour l’assurance maladie, mais aussi pour la dépendance, et plus généralement d’accéder à des services, comme l’accès à un mode de garde pour la branche famille. La question de l’accès aux services et aux soins se pose donc pour les prestations en nature, comme celle de l’accès au droit pour les prestations en espèces, mais la question est plus complexe, car il ne suffit pas qu’il existe une prise en charge, totale ou, le plus souvent, partielle du coût de ces services ou de ces soins, pour que l’accès soit effectif : il faut aussi qu’il y ait, de façon accessible, une offre existante, qu’elle soit disponible et adaptée, et que les bénéficiaires de cette offre disposent des informations nécessaires sur sa disponibilité et sa qualité. De nombreux facteurs donc, et communs aux différentes branches de la sécurité sociale, que ce soit pour l’accompagnement au retour à l’emploi pour l’assurance chômage (ce qui a justifié le regroupement de l’Unedic et de l’ANPE au sein de Pôle emploi), l’hébergement des personnes âgées dans les Ehpad, comme les services nécessaires à leur maintien à domicile pour la CNSA, ou l’accès à un mode de garde pour leur enfant ou à d’autres services aux familles (comme les activités périscolaires ou l’accompagnement de la parentalité), pour les Caf, même si ces problématiques, complexes, ont surtout été analysées et développées pour l’assurance-maladie et pour la santé, compte tenu de l’importance du poids relatif des prestations en nature dans cette branche, comparé aux autres branches.
Notons au passage que, pour l’assurance maladie, les prestations en nature sont des prestations légales, du moins pour l’immense majorité d’entre elles, même si ce n’est pas le cas pour la part complémentaire, ce qui peut, on le sait, constituer un frein pour l’accès aux soins et qui a conduit à la création de la CMU complémentaire, puis de l’aide à la complémentaire santé (ACS), pour les plus démunis. La situation est plus complexe pour la dépendance, du fait du financement tripartite, même si les parts incombant à l’assurance maladie comme aux départements (APA) relèvent aussi d’une obligation légale. Tel n’est pas le cas général pour les prestations de services financées par la branche famille qui, pour la plupart d’entre elles (mais à l’exception notable du complément de libre choix du mode de garde (CMG), une des composantes de la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje)), le sont dans le cadre d’une « action sociale » qui s’est beaucoup éloignée de sa définition juridique initiale de prestation facultative, notamment en matière d’accueil du jeune enfant : c’est le cas, notamment, de la fameuse PSU (prestation de service unique) et de ses compléments divers, qui n’a pas, même si elle en a toutes les apparences, le caractère d’une prestation légale. Bizarrerie d’ailleurs de la branche famille, puisque, à la différence de la maladie, avec la complémentaire, ce sont les plus aisés et non les plus pauvres, qui bénéficient de l’obligation légale, alors qu’un des principes implicites de la législation sociale depuis la création des assurances sociales en 1930 et des allocations familiales en 1932, c’est que celle-ci couvre en priorité les plus faibles. Si l’on revient à l’accueil du jeune enfant[7], cette dualité de prise en charge n’est pas sans poser problème, comme le soulignait en 2014 l’avis du HCF[8], ne serait-ce que par les différences dans les barèmes et les critères d’attribution. D’où la proposition de fusion formulée dans cet avis .
Ni service public, ni droit opposable, mais des services sociaux d’intérêt général
Mais, comme on l’a vu tout au long de ce numéro pour l’accès aux soins, l’accès aux services, en général, ne dépend pas uniquement de la prise en charge financière dans le cadre des prestations en nature. Il dépend tout autant de l’existence d’une offre de service correspondant au besoin. Tordons à ce sujet le cou à une vieille lune : qu’on le regrette ou non, il ne s’agit pas d’une offre de service public. Autant il existe un service public de l’éducation, qui entraine l’obligation de créer une école pour les communes, obligation qui va être étendue, par la loi, aux écoles maternelles, autant il n’existe pas réellement, et ce malgré les nombreuses propositions faites dans ce sens[9], de service public de la petite enfance. La jurisprudence en a d’ailleurs tiré les conséquences sur ce thème, essentiel, de la laïcité, et de l’obligation de neutralité si elle s’impose aux caisses[10], en tant que gestionnaire d’un service public[11], celui du service des prestations légales de Sécurité sociale, mais pas aux crèches associatives[12]. Pour prolonger l’analyse comparée, notons qu’il n’existe plus, depuis la loi Hôpital, patients, santé et territoire (HPST), de service public hospitalier à laquelle elle a substitué des missions de services public, même si la plus grande partie des établissements de santé, comme d’ailleurs des établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE), relèvent de la gestion publique, et doivent, de ce fait appliquer les principes du service public. De même que s’il existe toujours un service public de l’emploi, il n’existe pas non plus, à proprement parler, de service public du placement, et d’ailleurs Pôle emploi ne représente désormais qu’une part minoritaire de l’activité de placement[13].
Cette offre de service ne relève pas non plus d’un droit opposable, comme cela a été parfois proposé aussi, notamment pour l’accueil du jeune enfant[14]. Il faut dire que l’expérience malheureuse du droit opposable au logement a surement refroidi plus d’un responsable. C’est pourtant, s’agissant de l’accueil du jeune enfant, le choix qu’ont fait nos voisins allemands[15], en faisant reposer cette obligation sur les communes, ce qui a contribué au développement impressionnant de l’offre d’accueil collectif outre-Rhin, à tel point que la situation historique s’est inversée récemment. Notons aussi, pour poursuivre l’analyse comparée, que s’il y a un droit, de nature constitutionnelle, à la santé[16], comme au travail[17], ceux-ci ne se sont pas traduits dans un droit opposable, ni aux soins, qui serait d’ailleurs difficile à organiser, malgré certaines incursions timides de la jurisprudence, , ni d’ailleurs à l’emploi, depuis la tentative vite avortée des ateliers nationaux, il y a cent soixante-dix ans.
En revanche cette offre de services relève, sans aucun doute, de la notion communautaire de services sociaux d’intérêt général (SSIG), notion hélas peu acclimatée dans notre pays, considérée trop souvent, à tort, comme protéiforme (comme si celle de service public ne l’était pas). C’est pourtant ce caractère social et d’intérêt général qui autorise, dans les différents domaines de la sécurité sociale, les autorités publiques à intervenir pour réguler ces services et ne pas les laisser évoluer en fonction des seules « lois du marché ». Et je suis de ceux qui pensent que ces notions ne sont pas suffisamment utilisées pour imposer aux opérateurs des objectifs et des contraintes nécessaires à un « bon accès » aux services et aux soins, trop marqués que nous sommes par le vieux dualisme « service public/service privé ». Et ce non seulement pour vérifier le respect des normes, ce qui est le cas pour l’accueil de la petite enfance, mais aussi pour s’assurer d’une offre suffisante, en quantité et en qualité. C’est d’ailleurs ce qui fonde l’intervention des autorités publiques que sont les ARS dans la programmation et dans les autorisations de certains équipements, comme dans les contraintes, au demeurant bien faibles, qui s’imposent à l’assurance santé complémentaire (contrats solidaires et responsables) pour bénéficier d’avantages fiscaux, et ce quelle que soit la nature juridique de l’opérateur, et l’on aimerait que la même logique prévale en ce qui concerne la médecine libérale, notamment en matière de répartition géographique (comme c’est le cas pour d’autres professionnels de santé, notamment, et depuis longtemps, pour les pharmacies).
L’accès au service, l’un des objectifs de la régulation publique
C’est aussi ce caractère social et d’intérêt général des structures d’accueil de la petite enfance qui justifie la possibilité pour les autorités publiques (Etat, mais aussi départements au travers des PMI) et les Caf d’intervenir, pas seulement financièrement, pour rendre effectif l’accès à ces services, et je regrette, là encore, qu’on n’en ait pas tiré toutes les conséquences jusqu’alors. En effet, il est clair que l’offre d’accueil de la petite enfance est insuffisante en quantité pour garantir un accès pour toutes les familles à un mode de garde de leur choix, et surtout, que les inégalités d’accès restent très importantes, même si elles se sont, un peu, réduites, au cours de la COG 2013-2017, inégalités géographiques, d’abord, mais aussi, et peut-être surtout, inégalités sociales[18].
Autant la branche famille a été le plus souvent novatrice en ce qui concerne l’accès au droit[19], autant elle n’a pas toujours su, dans le domaine de l’accès au services, développer avec ses tutelles et dans un cadre national cohérent, les outils qui ont été mis en place pour la santé pour développer l’accès aux soins tout en maîtrisant la dépense, comme l’a fait l’assurance maladie. Le fait qu’on atteigne, pour la santé, une forme de limite dans la conciliation de ces deux objectifs ne doit pas faire oublier les progrès qui ont été accomplis pendant une vingtaine d’année avec la mise en place d’outils de régulation, progrès dans la couverture géographique, dans l’accès aux soins et dans la lutte contre les inégalités, même s’ils n’ont pas tous produit leurs effets, et surtout, par différence, les difficultés considérables auxquels le système de santé doit faire face dans les domaines (principalement la médecine ambulatoire) où ils n’ont pas été utilisés.
La géographie ça sert d’abord à faire de la politique
Garantir l’accès, c’est d’abord garantir une offre de proximité. Cette notion de proximité est évidemment une notion relative, dépendant des services concernés et des technologies. En ce qui concerne la petite enfance, la maille d’analyse est en général celle des bassins de vie. Mais en même temps, les situations sont variables. C’est ce qui avait conduit à pousser à la généralisation de schémas départementaux de la petite enfance (et des services aux familles), de façon à appréhender précisément et de façon prospective, et les besoins et les capacités d’accueil. Cette démarche cartographique a été développée depuis beaucoup plus longtemps dans le secteur de la santé, au départ pour les équipements hospitaliers, avec les premiers SROS, par les ARH, et généralisée à la quasi-totalité des secteurs, il y a maintenant près de dix ans, avec la création des ARS.
Bien sur la carte n’est pas le territoire, elle n’en est qu’une représentation ; mais une représentation nécessaire à la délibération démocratique et à la décision qui doit en découler, car elle objective, même si c’est en les simplifiant, les difficultés d’accès au service, notamment celui, essentiel, de la distance. Mais il ne suffit pas qu’il y ait un accord sur le diagnostic pour qu’il y ait une politique publique efficace d’accès aux services. « L’ardente obligation » chère au fondateur de la Vème République ne suffit pas. En même temps, il est difficile pour des services sociaux et d’intérêt général de relever d’une obligation et donc de faire des schémas prescriptifs, comme souhaitait le faire, en son temps, Dominique Bertinoti. Il aurait fallu pour cela, comme pour l’école, créer un service public de la petite enfance et faire peser la responsabilité de sa mise en place sur un des acteurs (probablement, dans notre système juridique et institutionnel, les communes ou les intercommunalités), quitte à ce qu’il le délègue à d’autres opérateurs. Tel n’a pas été le choix. Mais à défaut de les rendre obligatoires, ou prescriptifs, il est possible, et c’est ce que j’avais proposé, de les rendre opposables, ce qui permet à une autorité de régulation, d’une part, de ne pas autoriser de nouvelles créations là où les capacités d’accueil sont suffisantes et où des capacités d’accueil supplémentaires viendront déstabiliser les structures existantes et « écrémer », comme le font aujourd’hui un certain nombre de micro-crèches financées par le complément mode de garde, les populations les plus aisées, et surtout, d’autre part, de susciter, par exemple par des méthodes de type « appel à projet » et en renforçant les aides à l’investissement, la création de structures là où elles n’existent pas, notamment dans les QPV ou dans certaines zones rurales sous-dotées[20] .
Là encore on peut regretter que, dans le domaine de la santé, de telles méthodes n’aient pas été utilisées pour la médecine libérale, dès qu’on a commencé à prendre conscience, il y a maintenant une vingtaine d’année, de l’existence de « déserts médicaux ».
Accès à l’information et accès au service
Mais l’accès aux services ne nécessite pas seulement une offre disponible. Il suppose aussi que l’information sur cette offre soit accessible ; et, à l’heure de la transformation numérique[21], cette information fait partie intégrante du service lui-même : ce qui a fait le succès de « Uber », de « Blablacar » ou, dans le domaine de l’emploi du « Bon coin ». Le numérique accélère le temps et abolit les distances en ce qui concerne l’information, même s’il ne les abolit bien sûr pas en ce qui concerne le service lui-même qui doit rester accessible géographiquement
Malgré les efforts de modernisation engagés, par exemple, pour ce qui concerne la branche famille, sur mon-enfant.fr, je ne cache pas une certaine inquiétude sur la capacité de la sphère sociale à développer ces outils et à ne pas être débordée par des opérateurs émergents, comme cela s’est passé dans d’autres domaines. C’est ce qui m’avait conduit à organiser le premier Hackhaton dans la Sécurité sociale, à l’occasion des célébrations des soixante-dix ans de l’ordonnance de 1945.
Analyse des données et accès à des services de qualité
Ces applications, comme d’ailleurs les cartographies dynamiques qui permettent l’élaboration des schémas, reposent sur l’analyse de données massives (big data) issues des systèmes d’information de gestion et qui doivent être valorisées davantage pour permettre d’améliorer l’accès au service, comme elles ont pu être utilisées pour la lutte contre la fraude et les abus, mais aussi l’accès au droit[22].
Des données mieux valorisées par les organismes, mais aussi ouvertes au public[23] (open data), tout à la fois pour assurer une vraie transparence démocratique, par exemple sur les schéma territoriaux, mais aussi pour susciter une émulation entre les opérateurs : on sait que les situations de monopole, y compris publics, ne sont pas toujours favorables à la créativité et à l’innovation[24].
L’offre de service disponible doit l’être en quantité, mais aussi en qualité. Là encore les « données massives » vont révolutionner la question de l’analyse et de l’évaluation de la qualité de service. On pourra bientôt, bien plus rapidement qu’avec les cohortes auxquelles nous ont habitué les évaluations à l’américaine, apprécier plus rapidement « ce qui marche [25]» et corriger le tir, considérant que, dans ces domaines, il n’y a de vérités que provisoires.
Cette question est importante, car, en matière d’accès aux services, la question de l’égalité est essentielle, et les inégalités d’accès le sont tout autant dans les conditions de prise en charge, que la disponibilité du service lui-même ; tout autant, voire plus, comme on a pu le voir dans le domaine de la petite enfance, où, comme cela a été largement démontré, une prise en charge de qualité précoce est aussi un puissant levier de réductions des inégalités[26].
Là encore le parallèle avec les autres secteurs est intéressant, et l‘on sait, par exemple que les inégalités d’accès aux soins, mais aussi aux dispositifs d’accompagnement en matière de dépendance, sont pour beaucoup dans les inégalités de santé.
Accès aux services et solvabilisation
Mais ces inégalités, et l’accès lui-même dépendent d’abord des conditions de couverture financière. De ce point de vue, la prestation de service unique (PSU) peut paraître exemplaire, dans la mesure où le barème qui lui est associé[27] repose sur un reste à charge quasi proportionnel en fonction des revenus, et donc particulièrement faible pour les plus bas revenus. Situation là encore paradoxale de la branche famille au regard de la branche maladie, si l’on se souvient des polémiques sur la remise en cause de l’universalité qu’avait déclenché la proposition de bouclier sanitaire[28], portée notamment par Martin Hirsch et qui visait, de la même façon, à plafonner le reste à charge en fonction du revenu : « vérité dans une branche, erreur dans l’autre ». On objectera qu’il s’agit dans un cas de prestations légales, dans l’autre, d’action sociale. Et il est vrai que ce barème progressif en fonction du revenu ne s’applique pas de façon aussi forte à l’autre mode de prise en charge qu’est le CMG, une prestation légale, cette fois-ci. Mais la PSU a toutes les caractéristiques d’une prestation légale, à l’exception de sa base juridique et budgétaire, et c’est ce qui m’avait conduit à recommander la fusion des deux prestations en une seule, ou, à tout le moins, à définir un barème identique, conformément à une recommandation du HCF[29].
Une équation financière
Un spectre hante la Sécurité sociale, depuis la fin des années soixante[30] : celui de l’équation financière. Comment garantir l’accès de tous à des services (ou des soins), donc sans barrière financière sans pour autant faire exploser les dépenses[31], c’est-à-dire, soit creuser le « trou » de la sécurité sociale, soit augmenter indéfiniment et surtout trop rapidement les prélèvements obligatoires. Comment donc maîtriser la dépense sans exclure, donc sans restreindre, de façon inconsciente ou volontaire, l’accès aux services (et aux soins).
Là encore l’assurance maladie a montré la voie, au moins en terme de méthodes, avec le rapport « charges et produits[32] » qui faisait suite au « rapport sur l’exécution de l’Ondam » que j’avais engagé pour les exercices 2002[33] et 2003[34]. Au passage, il faudrait le compléter, notamment pour évaluer davantage la question de l’accès aux soins, et, pour cela, le fusionner notamment avec les rapports du Fonds CMU[35]. Mais cet exercice annuel a au moins permis un réglage fin (« fine tuning ») de la dépense, et conduit l’assurance maladie à améliorer considérablement ses techniques et ses méthodes d’analyse et de prévision.
Dans le champ de la branche « famille », c’est cette expérience qui m’avait conduit à recommander, d’une part la fusion des budgets « petite enfance » du FNPF et du Fnas, et d’autre part, à appliquer à ce budget global des méthodes de type « Ondam » qui permettraient de concilier « au mieux » deux objectifs a priori contradictoires : l’accès de toutes les familles, notamment les plus précaires, à un mode de garde adapté, et la maîtrise de l’évolution de la dépense qui lui est consacrée.
Je crains qu’au lieu de cela on ne maintienne les vieilles recettes d’un Fnas sous une contrainte budgétaire désormais très (trop) forte, au contraire de la période précédente, certes cohérente avec la programmation des finances publiques arrêtée par le gouvernement et aussi pour éviter l’effet d’optique qu’une soit disant « sous consommation[36] » trop importante, mais qui est le degré 0 de la régulation de la dépense sociale, et d’un FNPF qui continue de fonctionner à guichet ouvert sans dispositif de régulation, avec les effets de déport de l’un sur l’autre. Ce qui ne permettra pas de réaliser cette ambition forte que tous les gouvernements, y compris l’actuel, ont essayé d’atteindre depuis au moins deux décennies : l’accès de toutes les familles à une solution d’accueil pour leur(s) jeune(s) enfant(s).
Il faut dire qu’hélas, la pensée de la complexité[37] n’a pas encore atteint tous les cercles de la décision publique.
Toulon, les 18-20 juin 2018 – Paris, le 10 juin 2018
[1] Au sens large, c’est-à-dire au sens européen, l’ensemble des risques qui relèvent d’un régime obligatoire, y compris, même si c’est dans des conditions un peu particulière, la couverture chômage.
[2] Jean-Jacques Dupeyroux et de nombreux auteurs « Droit de la Sécurité sociale », depuis les premières éditions
[3] Prestations en espèces ou prestations en nature les allocations logement ? Cela pourrait se discuter, car la prestation est versée pour contribuer à la couverture d’une partie du loyer, et donc accéder à un logement. Mais le lien entre la prestation et le droit au logement s’est tellement distendu que les allocations logement s’apparentent de plus en plus à une prestation en espèce.
[4] Voir sur mon blogue « La fraude nuit gravement à la solidarité » (http://www.daniel-lenoir.fr/la-fraude-nuit-gravement-a-la-solidaritesuite/)
[5] Voir sur mon blogue « Sur quelques idées reçues sur la fraude, les contrôles et l’accès au droit » (http://www.daniel-lenoir.fr/sur-quelques-idees-recues-sur-la-fraude-les-controles-et-lacces-au-droit-et-parce-que-comme-le-non-recours-au-droit-la-fraude-nuit-gravement-a-la-solidarite/)
[6] Voir le Rapport d’évaluation de la prime d’activité 2017, DGCS, 2018 (http://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_d_evaluation_prime_d_activite.pdf), ainsi que, sur mon blogue, « Une révolution sociale, numérique et administrative » (http://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_d_evaluation_prime_d_activite.pdf)
[7] Je ne traiterais pas ici des autres « prestations de service » financées par la branche famille, ce qui serait pourtant intéressant, par exemple pour la prise en charge des activités périscolaires, compte tenu du poids de l’accueil de la petite enfance.
[8] Cf. avis du HCF du 10 avril 2014 « L’opportunité et les contours d’un éventuel reprofilage des aides à l’accueil des jeunes enfants »
[9] Cf. Rapport sur le service publique de la petite enfance, Centre d’analyse stratégique, 2007
[10] Arrêt Cour de cassation du 19 mars 2013, CPAM de Bobigny
[11] Arrêt conseil d’État du 13 mai 1938, Caisse primaire aide et protection
[12] Arrêt Cour de cassation du 19 mars 2013, Baby-loup
[13] Voir sur mon blogue « Protection sociale et transformation numérique » (http://www.daniel-lenoir.fr/protection-sociale-et-transition-numerique/)
[14] Le développement de l’offre d’accueil de la petite enfance, Michèle Tabarot, Carole Lépine, Rapport parlementaire, La documentation française, juillet 2008
[15] « Places en créche : pourquoi l’Allemagne fait-elle mieux que la France depuis dix ans ? » Catherine Collombet, Gauthier Maigne, Bruno Palier. Note de France Stratégie n°56, mai 2017 (http://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/na-56-creche-web_0.pdf)
[16] « (La Nation) garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé (…) » (préambule de la constitution de 1946, alinéa 11)
[17] « Tout homme à le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi » (préambule de la Constitution de 1946, alinéa 5)
[18] Rapport 2017 de l’observatoire national de la petite enfance : l’accueil du jeune enfant en 2016, Cnaf, Drees, Insee, MSA, Education nationale, Acoss, janvier 2018
[19] L’accès au droit et le non-recours dans la branche Famille de la Sécurité sociale, DSER/Cnaf, Dossier d’étude n° 173, novembre 2014
[20] Investissons dans la petite enfance6 L’égalité des chances se joue avant la maternelle. Florent de Bodman, Clément de Chaisemartin, Romain Dugravier, Marc Gurgand. Terra Nova, 31 mai 2017.
[21] La transformation fulgurante. Pierre Giorgini. Bayard, 2014.
[22] Voir sur mon blogue « La fraude nuit gravement à la solidarité » (http://www.daniel-lenoir.fr/la-fraude-nuit-gravement-a-la-solidarite/)
[23] Voir le site Caf data
[24] Qu’on se souvienne, pour les plus anciens d’entre nous, de la montagne du Réseau santé social (RSS), pourtant délégué au secteur privé, et qui n’a pas accouché d’une seule souris en termes de services associées, alors que telle était l’intention de ses promoteurs.
[25] What works, pour les britanniques. Cf. What Works centers britanniques – Quels enseignements pour des politiques fondées par la preuve en France ? Ansa, mars 2017 (http://www.strategie.gouv.fr/publications/what-works-centres-britanniques-enseignements-politiques-fondees-preuve-france)
[26] Voir sur mon blogue « La petite enfance, clé de l’égalité des chances » (http://www.daniel-lenoir.fr/la-petite-enfance-cle-de-legalite-des-chances/)
[27] Cf. Atlas des EAJE http://www.caf.fr/sites/default/files/cnaf/Documents/Dser/Filoue/Atlas%20EAJE%202015.pdf
[28] « Guérir des ALD : propositions pour une réforme », Pierre-Louis Bras, Etienne Grass, Olivier Obrecht, Droit social, janvier 2007.
[29] Op. cit.
[30] Les ordonnances Jeanneney, dont nous avons célébré récemment les cinquante ans, première grande réforme de la sécurité sociale après sa création en 1945, étaient, déjà, motivées par des préoccupations d’équilibre financier.
[31] Il est clair
[32] Voir le rapport pour 2018 « Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses », CnamTS, 7 juillet 2017
[33] Rapport sur l’exécution de l’Ondam 2002, CnamTS, octobre 2003
[34] Rapport sur l’exécution de l’Ondam 2003, CnamTS, juin 2004
[35] Fonds CMU
[36] Voir « Non la Cnaf n’a pas rendu 523 millions d’Euros »
[37] « Introduction à la pensée complexe » Edgar Morin, Le Seuil, 2005
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