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Retraite sur la retraite (Un État-providence du 21ème siècle, 5)

En annonçant le 3 juin qu’il risquait de prendre des décisions difficiles sur le terrain des retraites le Président de la République a, en réalité,  envoyé deux messages : d’une part l’abandon du projet de régime universel des retraites et d’autre part la possibilité de lui substituer une mesure d’âge.

Nous voilà donc revenu aux « simples » mesures paramétriques, avec, comme seule vraie question, celle de savoir si elles seront décidées avant les présidentielles -au risque de mécontenter tout le monde, y compris les patrons, mais avec la volonté de montrer que la volonté réformatrice d’Emmanuel Macron n’a pas été émoussée et ne s’embarrasse pas de l’opinion-, ou après -laissant ainsi aux français la possibilité de se prononcer par leur vote en donnant un mandat clair sur le sujet au futur chef de l’exécutif-. A n’en pas douter ce sont des considérations purement politiques qui conduiront à trancher ce « dilemme », le risque étant qu’en faire l’un des enjeux des futurs présidentielles risquent de conduire à un débat hystérisé entre une surenchère irréaliste -n’oublions pas que Marine Le Pen s’affiche favorable au retour de l’âge de retraite à 60 ans- et une vision supposée raisonnable qui fait de l’équilibre du régime des retraites par répartition le garant de  de sa pérennité. En effet, à supposer qu’il y ait besoin de couvrir les déficits, les mesures paramétriques qui pourraient être prises avant les élections ne commenceront à produire des effets que dans quelques années, comme nous engrangeons aujourd’hui les effets des « réformes » Fillon et Touraine.

Mais c’est surtout oublier qu’un autre mandat avait déjà été donné la dernière fois, puisque, du programme social d’Emmanuel Macron, voir de son programme tout court, c’est sûrement le projet de système universel de retraite sur lequel l’engagement était à la fois le plus clair et le plus précis. Parjure et paradoxe, a-t-on envie de dire.

Parjure, l’abandon par le candidat élu en 2017 de son double engagement de campagne, non seulement celui, positif, de mettre en œuvre cette réforme systémique, soutenue à l’époque par la CFDT, mais surtout, celui, négatif, de ne pas toucher à l’âge légal de départ à la retraite, de ne pas prendre de mesures d’âge, considérant, à l’époque, que le fameux équilibre des retraites était assuré. Tout cela nuit à la crédibilité des engagements de campagne et ne va pas redorer la confiance dans les élus.

Paradoxe de voir une réforme clairement annoncée tomber devant la coalition des oppositions, donnant (presque) raison à la prophétie de Michel Rocard, qui avait déclaré à la sortie de son livre blanc sur les retraites qu’il y avait de quoi faire tomber plusieurs gouvernements. Paradoxal en effet que la question des retraites, un problème en théorie bien plus facile à mettre en équation et donc à résoudre que ceux de l’assurance-maladie ou de la dépendance, ou même du chômage, soit celle sur  laquelle il soit le plus difficile de réformer.

Comment en est on arrivé là ? En fait ce qui a conduit à la coagulation des oppositions contre la réforme, ainsi qu’à un soutien beaucoup plus timide des forces favorables, ce n’est pas le projet de mise en place d’un régime universel par points -même si bousculant des situations acquises, il a suscité des oppositions et surtout des incompréhensions-, mais l’introduction de la notion d’âge pivot par Édouard Philippe, qui était une façon détournée de reculer l’âge de départ à la retraite, puisqu’il conditionnait la possibilité d’en bénéficier à taux plein. Une notion non prévue dans le projet initial, et introduite au motif d’une dégradation de l’équilibre des comptes de la retraite, qui s’est aggravée depuis avec la crise du Covid. Et qui a fait de la réforme des retraites adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale une sorte de sparadrap que l’exécutif est sûrement heureux de laisser sur la vareuse de l’ancien capitaine de l’équipe gouvernementale.

En fait le problème du déficit agité par le ministre de l’économie est une construction purement comptable, dans la mesure où il dépend  des recettes qui sont affectées à la branche « retraite ». Et sa dégradation récente n’est que le résultat de la chute des recettes du fait de la pandémie. Si problème de déficit il y a, c’est celui de l’ensemble de la sécurité sociale, qui, contrairement à celui de l’État doit finalement être équilibré (ce qui a conduit à son transfert partiel sur la Cades, avec une perspective de remboursement à l’horizon 2035). En réalité le problème français des retraites, si toutefois c’en est un, c’est le niveau atteint par les retraites (de sécurité sociale) dans le PIB : 14%, soit un niveau supérieur de 5 points à la moyenne des pays de l’OCDE, et qui explique en grande partie le record détenu par la France d’être la championne du monde du taux de prélèvement obligatoire, un taux qui serait à la fois excessif et limiterait les marges de manœuvre pour développer la couverture de nouveaux risques, comme la dépendance. Sous prétexte de réduire le déficit, les réformes successives depuis la réforme Veil de 1993 ont eu pour principal effet de ralentir l’augmentation de la part des retraites dans le PIB (qui sinon serait supérieure d’au moins 2 points à celui atteint) et d’éviter d’augmenter les prélèvements pour les financer, mais commencent à peser lourdement notamment sur les plus petites retraites.

Le projet de régime universel obéissait en fait à une autre logique, avec deux objectifs d’ailleurs convergents : un objectif d’équité, mais aussi un objectif de soutenabilité à long terme. Un objectif d’équité, en créant des droits équivalents quelles que soient les statuts qui ont permis de les acquérir. Un objectif de soutenabilité, visant lui aussi à maîtriser la part des retraites dans la distribution de la richesse nationale, mais sans passer par les a-coups de modifications régulières de l’âge de départ à la retraite et de la durée de cotisation. En effet, une fois le nouveau régime arrivé à maturité, l’évolution de la valeur du point devait permettre de piloter ce niveau, en fonction des arbitrages collectifs  sur la répartition des ressources entre actifs et inactifs. L’équité du régime universel contribuant à la soutenabilité, sociale, en évitant les effets d’échelle de perroquet qui résultent de la multiplicité actuelle des régimes.

Quel paradoxe, là aussi, et quel gâchis, surtout, d’abandonner une modernisation indispensable de notre système des retraites, au profit d’une réforme paramétrique dont l’introduction avait conduit à lui faire perdre sa crédibilité !

Paris, Croulebarbe, le 20 juin 2021.

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