Autant le dire, j’ai été déçu par le livre du docteur Patrick Bouet, président du Conseil de l’ordre des médecins, et qui, sous le titre alléchant « Santé : explosion programmée » a publié en mai dernier ses réflexions sur l’état du système de santé et sur la politique de santé qu’il propose.
Pourtant j’avais abordé son écrit avec un préjugé particulièrement positif : ce n’est pas tous les jours qu’un responsable d’une organisation professionnelle médicale, a fortiori de l’ordre des médecins, qui, bien que chargé d’une mission de service public, n’a pas toujours brillé par sa capacité à innover et à dépasser les préoccupations corporatistes (sauf peut-être dans la courte période où il a été présidé par le Pr Bernard Hoerni, avec le Dr André Chassort comme secrétaire général adjoint), s’essaye à porter un regard critique et à proposer des mesures de politique générale, et non pas de se contenter de contester et de remettre en cause celles qui sont prises. De surcroît, le Dr Brouet est un médecin, généraliste, connu et reconnu pour son engagement auprès de ses patients.
Mais, si je partage la plupart des éléments de son diagnostic, la thérapeutique qu’il propose, et ce malgré sa volonté affichée de ne pas, comme les budgétaires de tout poil, « soigner les symptômes en ignorant la maladie », n’est pas à la mesure de la gravité de la situation et reste marquée par les idées reçues et les peurs fantasmés du monde médical, idées et peurs qui ont largement contribué à empêcher, ou au moins à freiner, les évolutions nécessaires de la santé comme d’ailleurs de la Sécurité sociale.
Au moment où le gouvernement s’apprête à annoncer sa stratégie nationale de santé, j’ai eu envie de reprendre la lecture que j’avais faite de ce livre, et de la livrer ici.
Santé, une implosion prévisible.
A propos de « Santé : explosion programmée » du Dr Patrick Brouet.
D’abord je veux dire ce qui m’a plu, et même touché dans ce livre : le docteur parle des docteurs comme on les aime, des médecins attentifs à leurs patients, plus humanistes que scientifiques, ne confondant pas médecine et utilisation des techniques médicales, même si celle là s’appuie sur celles-ci, considérant aussi « l’irruption de l’usager de santé », derrière le patient, comme « une grande chance » et viscéralement attaché au principe de solidarité qui fonde notre système de Sécurité sociale.
Partagé également, et très largement, son diagnostic, sur la situation du système de santé : l’inadaptation des études médicales, la coupure entre la médecine hospitalière et la médecine ambulatoire, l’hospitalo-centrisme qui marque notre système, le poids excessif du secteur 2 et la mise en place d’une « médecine à deux vitesses », la sur-prescription médicale et l’insuffisance de la prévention, les déterminants sociaux des maladies (par exemple celles liées à l’obésité) et le développement des « maladies environnementales », l’insuffisante place du « care » (prendre soin) face à la domination du « cure » (soigner), l’absence d’un réel « parcours de santé » pour les usagers, etc …. Tout cela rejoint ces dilemmes de la politique de santé que j’ai mis en évidence ici.
Malheureusement, chassez le naturel corporatiste, il revient au galop : à vouloir prendre systématiquement le contrepied des politiques publiques qui on été conduites (le « On nous dit … » par lequel commence la plupart des chapitres), le président du conseil de l’ordre retombe dans le poujadisme médical et le rejet systématique des solutions innovantes. Ainsi le bon docteur rejette-t-il sans autre forme de procès les délégations de compétence vers d’autres professions de santé (infirmières notamment), la régulation des installations au motif du sacro-saint principe de la liberté d’installation, la régulation des dépassements au motif de la liberté tarifaire, par exemple.
Mais le problème principal c’est que, contrairement au titre du livre, ce n’est pas à une explosion programmée qu’il faut s’attendre, mais à une implosion hélas prévisible. Prévisible mais non programmée, parce que, à l’inverse d’une vision paranoïaque de l’action des responsables publics, qui confine parfois à la théorie du complot, personne évidemment, pas plus les politiques que les technos, dans la catégorie desquels je me range, n’a voulu cette situation. Ce qui n’exclue pas les erreurs des uns et des autres, et il y en a eu, mais aussi la myopie, pour ne pas dire la cécité, des acteurs du système, qui conduit à l’implosion, myopie des médecins, comme des autres professions de santé.
Car pour lui, le corps médical n’a aucune responsabilité dans cette « explosion programmée » (et donc ne doit subir aucune contrainte). Non, car elle est le résultat d’un complot, un complot contre les médecins, ourdi par les économistes qui ont conseillé les ministres et les directeurs successifs de la CNAMTS, depuis le premier choc pétrolier ; c’est même pour lui, d’une véritable « dictature » qu’il s’agit, relayée aujourd’hui par les « treize satrapes », que sont les directeurs généraux d’ARS. Thèse qui traverse l’ensemble du livre, développée au prix d’affirmations d’ailleurs contraires aux faits : ainsi (je cite ce point qui m’a évidemment touché), le Dr Broutet accuse les directeurs successifs de la Cnamts (et ce jusqu’en 2004), d’avoir poussé à la diminution du nombre de médecins, et donc d’être à l’origine de la pénurie actuelle, alors que j’avais, en m’attirant d’ailleurs les foudres du directeur de la Sécurité sociale de l’époque, signalé le développement des phénomènes de désertification médicale, notamment dans certaines zones rurales, avant même de prendre la direction de la branche maladie en 2002, dès mes années MSA.
« Si nous considérons que la santé est une mission de service public au sens le plus large du terme, et que tout citoyen a le droit d’accéder à des soins où qu’il soit (objectifs que je partage totalement), nous devons arrêter de chercher à tout prix l’équilibre économique et financier de notre système » dit dans sa conclusion le bon docteur, qui confesse lui-même ne pas être économiste. Et de confondre à longueur de page rentabilité, c’est à dire capacité à générer des profits (ce que font par exemple, sans que le Dr Bouet y voie à redire, tant l’industrie pharmaceutique que l’hospitalisation privée), et équilibre des recettes et des dépenses, cette dure loi de l’économie, qui contrairement à ce qu’il affirme s’applique au secteur public, y compris l’Education nationale comme d’ailleurs à l’ensemble du budget de l’Etat. J’ai toujours été étonné par cette attitude de nombre de responsables médicaux comme d’ailleurs syndicaux à confondre recherche de l’équilibre financier et rentabilité. Pourtant la première n’est guère différente de la recherche d’homéostasie, chère à l’inventeur de la médecine expérimentale, Claude Bernard, appliquée à l’économie, et n’est que l’application de la loi de conservation de Lavoisier, « rien ne se perd, rien ne se crée » : c’est la dure loi d’airain de l’économie, si les dépenses sont durablement supérieures aux recettes, cela se transforme en un déficit structurel, qu’il faudra bien couvrir un jour et en attendant augmente la dette.
On voit par là qu’il n’y a pas qu’en matière d’humanités que la formation des médecins laisse à désirer.
Paris, le 17 septembre 2018.
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