« Il y a un moment pour tout et un temps pour toute chose sous le ciel (…)
Un temps pour se taire et un temps pour parler. »
Qohélet (L’Ecclésiaste, 3 1;7)
Silence. C’est ce à quoi nous appelle aussi Djalal ad Din Rûmî, « qui souvent se donnait précisément (« silence ») comme surnom », dans ce poème qui porte aussi ce titre et clôt le recueil qu’a traduit et publié, peu avant sa mort, l’athée Jean-Claude Carrière. Des paroles de Qohélet mises en exergue de cet édito et dans la bouche du roi Salomon aux méditations de l’auteur de ce qu’on a pu appeler le Coran mystique, en passant par les dits du Prophète de Khalid Gibran (« Et souvent vous noyez vos pensées sous les flots de vos paroles »). et par la conclusion du livre d’entretien du même Jean-Claude Carrière avec le Dalaïlama (« Comme toute conversation, celle-ci nous conduit au silence »), les chercheurs de sens ont fait du silence un chemin privilégié de la quête spirituelle. Cette dimension de notre projet que nous avons décidé de renforcer lors de notre dernière assemblée générale.
Silence. De façon symbolique, à l’occasion de l’installation du conseil d’administration de Démocratie & Spiritualité, nous avons décidé de séparer chaque point de l’ordre du jour par un temps de silence, un temps bref mais profond, un temps de respiration mais aussi d’inspiration. Juste le temps de se mettre à l’écoute de soi-même, de retrouver un instant ce lieu intérieur où « les eaux troubles de l’esprit se calment et s’éclaircissent et une grande partie de ce qui est caché, tout ce qui l’obscurcit remonte à la surface et peut-être écrémé ». Le temps aussi de se mettre à l’écoute de l’autre, non pas seulement de ses arguments, mais aussi de ce qui le met en mouvement, de ce qui motive sa démarche. Non pour masquer les désaccords et viser une sorte de consensus de Bisounours, mais pour pouvoir dépasser, sans les refouler dans un silence coupable, les oppositions et les conflits ; en ayant, comme nous y invite Jean Birnbaum, « le courage de la nuance », qui commence souvent par le courage de penser contre soi-même, et aussi en cultivant cette « éthique de l’amitié » qu’il dégage de l’œuvre de Camus.
Silence. Alterner le temps du silence avec celui du débat, c’est aussi une façon de conjuguer dans nos échanges le temps de la spiritualité et celui de la démocratie, celui personnel de l’intériorité et celui, communautaire, de la délibération. Au delà d’une technique pour améliorer la qualité de nos échanges, et qu’on pourrait généraliser à tous nos groupes, c’est aussi une façon de poursuivre cette « intranquille quête de l’esperluette ».
Paris, Croulebarbe, le 16 avril 2021.
Addendum :
Je ne résiste pas au plaisir de recopier la conclusion de la préface de Jean-Claude Carrière à « Cette Lumière est mon désir » de Rûmî :
« Je me suis souvent demandé, tout au long de cette traduction, et quelquefois je me demande encore pourquoi je suis tellement ému par cette lecture. Je n’adhère à aucune foi, je ne crois pas en une autre vie et toute religion m’apparaît illusoire, surtout quand elle codifie et se durcit (nous avons sous les yeux aujourd’hui, les dérives d’un islam égaré, dénaturé, qui semble avoir perdu jusqu’à avoir perdu jusqu’à sa raison d’être, ses fondements, ses fondements, son unité, pour le dire en un mot sa vertu.
Raison de plus pour retourner à ce qui peut nous réunir, à cet appel qui nous est lancé, indéfini mais insistant, vers un ailleurs même improbable, vers d’autres mondes, vers d’autres espérances, vers d’autres beautés, vers d’autres cieux. »
Paris, Croulebarbe, le 17 avril 2021
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