Je ne sais si elle croit en la résurrection, même si elle en donne, avant de plonger dans le grand sommeil de l’éternité, une interprétation temporaire ; en tous cas Amélie Nothomb croit en l’incarnation ; comme Péguy, celui du porche du mystère de la deuxième vertu. Sauf que Péguy met sa longue méditation dans la bouche de Dieu, le père qui voit, impuissant, mourir son fils sur la croix et qui ne peut pas l’enterrer, alors qu’elle, elle se met dans la peau du fils. Un fils qui ne veux pas que sa mère, confrontée, comme le père pour Péguy, à l’inversion de l’ordre des choses, celui de voir son enfant mourir avant soi, l’accompagne sur son chemin de souffrance.
Son Jésus, c’est celui de notre enfance, celui que nous avons appris au catéchisme : il sait qu’il est le fils de Dieu, il le sait depuis le début ou presque, il fait des miracles, il sait qu’il doit mourir, même si il ne sait pas bien pourquoi, il sait aussi, dès la première rencontre, que Juda doit le trahir. Mais c’est aussi un Jésus incroyablement humain : il souffre, mais il souffre réellement ; il souffre comme un homme qui souffre, pas comme ces figurations doloristes qui en ont été données ; il est amoureux, amoureux de Madeleine, mais pas d’un amour platonique ; il est vraiment amoureux, d’un amour charnel pour Madeleine ; mais pas non plus romanesque comme dans le Da Vinci Code ; c’est même un Jésus qui fait pipi, un ultime pipi, dans sa geôle ; et, plus que tout, il a soif.
C’est ce sentiment de soif qui donne son titre au livre. Une soif qui est une ouverture à l’amour humain : « Aimer, cela commence toujours par boire avec quelqu’un ». Un amour que le Dieu amour ne pourra jamais ressentir. La soif qui explique qu’il se soit incarné dans un pays de sécheresse, la soif où il trouve son salut, et que l’eau mélangée de vinaigre du légionnaire n’arrive pas à étancher.
Son Jésus, c’est le Jésus du grand malentendu ; le malentendu entre lui et Dieu, son père. Amélie Nothomb éclaire de mots nouveaux (son livre est un véritable réservoir à citations), le surprenant « Eli, eli, lama sabactani » du psaume 21 (Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ») prononcé au moment de sa mort.
Paradoxe de son écriture, autant la méditation de Dieu chez Péguy prend aux tripes, autant le style d’Amélie Nothomb nous laisse observateur des angoisses de Jésus devant ses souffrances et sa mort. On se prendrait pourtant à vouloir les partager ; mais ce serait tomber dans le piège doloriste. Au contraire, y compris par quelques traits d’humour, étonnants dans les pensées d’un condamné à mort, le livre maintient une distanciation qui nous fait ressembler aux foules qui l’ont lâché et qui assistent à la passion. Et qui explique cette éternelle solitude du fils de Dieu sur laquelle le livre se termine.
Paris, le 26 septembre 2019
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