Cris de victoire côté syndical : le Conseil d’État a annulé -pardon suspendu-, sur un recours de sept confédérations pour une fois unies, le décret du 31 mars réformant l’assurance-chômage et qui devait s’appliquer au 1er juillet. En fait, la partie n’est pas encore jouée : la haute juridiction administrative n’a fait, en référé, que reporter l’application du texte, sur un motif qui ne vise pas les fondements de la réforme, et la question sera tranchée au fond « d’ici quelques mois ».
Le motif a d’ailleurs de quoi surprendre : en considérant que le gouvernement a fait « une erreur manifeste d’appréciation » et ce parce que « les incertitudes sur la situation économique ne permettent pas de mettre en place (au 1er juillet) ces nouvelles règles qui sont censées favoriser la stabilité de l’emploi en rendant moins favorable l’indemnisation du chômage des salariés ayant alterné contrats courts et inactivité », on peut se demander si le Conseil ne s’est pas fait juge de l’opportunité, et empiété sur la compétence de l’exécutif. Mais il a peut-être aussi rendu service à un gouvernement qui considère d’ailleurs que la décision ne remet pas en cause les principes de la réforme, mais dont l’application au 1er juillet sonnait trop précocement le glas du « quoiqu’il en coûte » et dont certains effets réels devaient se faire sentir en mars 2022, soit juste avant les présidentielles ; et qui suscitait aussi des oppositions de tout bord – de Laurent Berger et Philippe Martinez réconciliés pour l’occasion dans une tribune commune avec les responsables du collectif Alerte, à l’ancienne ministre du travail Muriel Pénicaud, qui l’avait pourtant portée.
Une réforme qui mélangeait le bon grain du programme présidentiel d’Emmanuel Macron et l’ivraie de sa dérive néo-libérale. Le bon grain : une assurance chômage pour tous -en d’autres termes universelle-, ouverte aux non salariés et couvrant les démissions, de façon à favoriser la mobilité -comme c’était d’ailleurs l’objectif initial de la négociation qui a conduit à sa création, au beau milieu des Trente glorieuse sous l’impulsion du Général de Gaulle-, dans une logique de sécurité sociale professionnelle, et la pénalisation des employeurs qui abusent des contrats courts, avec un « bonus malus » qui, comme les taxes sur le tabac et l’alcool pour l’assurance maladie, visent à répercuter sur leurs responsables les coûts générés pour l’assurance-chômage tout en décourageant ces pratiques.
Du bon grain, il ne reste guère dans une réforme dont les motivations sont d’abord financières : l’ouverture aux indépendants et aux démissionnaires est ramenée à la portion congrue et la taxation des contrats précaires est reportée à septembre 2022 au profit d’une taxation des précaires eux-mêmes. En effet, au motif de lutter contre les abus de la succession de contrats courts, ce sont principalement les « bénéficiaires » de ces contrats qui seront pénalisés, puisque l’allocation sera calculée non plus sur la base du salaire perçu pendant les périodes travaillées, mais sur la rémunération mensuelle, donc intégrant les périodes d’inactivité, au cours des 24 derniers mois. D’après les calculs de l’Unedic, cela devrait diminuer l’allocation chômage de 17% en moyenne pour 1,15 millions de chômeurs.
Pour faire bonne mesure dans ses mesures d’économie, le gouvernement a également décidé une dégressivité plus importante pour les plus haut salaires. En fait cela a surtout une portée symbolique et n’aura qu’un impact financier limité ; et les « premiers de cordées » concernés sont justement ceux qui ne le sont plus et qui ont peu de chance de le redevenir, ces cadre quinquagénaires qui se retrouvent sur le carreau avec un espoir limité de retrouver rapidement un travail équivalent et qui vont voir leur revenu chuter rapidement, alors qu’ils ont encore à faire face à des obligations pécuniaires.
C’est oublier que, comme son nom l’indique, l’assurance-chômage est d’abord une assurance, qui permet aussi de lisser les a-coups des parcours professionnels. Vae victis : dans la vision néo-libérale du marché du travail, il n’y a pas de place pour les vaincus, qu’il s’agisse de la piétaille des précaires, ou des chevaliers qui ont mordu la poussière.
Paris, Croulebarbe, le 28 juin 2021
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