J’ai beaucoup aimé le dernier livre d’Abdennour Bidar, Le génie de la France ; beaucoup plus que le précédent « Révolution spirituelle » (malgré son titre alléchant, et le projet, courageux, de vouloir dire cette révolution spirituelle dans une sorte de long poème).
J’ai bien aimé d’abord sa définition de la France : telle la poupée de Michel Polnareff, c’est le pays « qui fait non, non, non, non ». Non au sacré religieux, non aux idoles en tous genres et de toutes espèces, ce qui pourrait bien expliquer notre gout particulier pour le blasphème, ce « crime imaginaire »; non aussi au sacré républicain, et à la tentative de remplacer le catholicisme historique par une religion civile, voire par un sacré étatique ; non également à l’esprit de système, y compris quand ceux qui, comme Descartes, Pascal, Voltaire ou bien d’autres, nous ont aidé à nous libérer de l’obscurantisme et des dogmatismes, en deviennent les nouveaux maîtres à penser ; non donc à la pensée unique, à la pensée imposée, à la pensée conforme, et j’aimerais être aussi convaincu que lui que ce qui caractérise les françaises et les français, c’est leur capacité à penser contre eux-mêmes, comme nous y invite Jean Birnbaum dans son dernier livre.
J’ai, en revanche, été surpris par son titre, le « génie de la France » : je me suis demandé si, tel l’Aladin des mille et une nuit il n’essayait pas de frotter la lampe de l’identité française, aujourd’hui placée sous l’éteignoir des identitaires, pour en faire sortir ce génie bleu, blanc et rouge qui a fait les heures glorieuses de la République ; la République au sens de Péguy, celle qui récapitule l’histoire nationale et qui donne ses couleurs à l’esprit français. Peut-être aurait-il mieux fallu parler, comme la référence à Renan aurait pu y conduire (« La nation est une âme, un principe spirituel »), d’âme de la France, celle qu’il y a quatre-vingts ans, les fondateurs de Témoignage chrétien, craignaient que nous soyons en train de perdre ; et que nous sommes peut-être en train de perdre à nouveau et plus subrepticement aujourd’hui. Il faudrait à cet égard faire une analyse Jungienne de notre âme collective, pour essayer d’en décrypter aussi la part d’ombre.
Ce « non » caractéristique de l’âme française dans ce qu’elle a de lumineux a trouvé, grâce aux Lumières justement, une traduction politique, et même juridique : la laïcité ; et c’est elle qui donne son sous-titre à l’ouvrage, « Le vrai sens de la laïcité ». Je me retrouve très largement dans cette conception de la laïcité, une laïcité exigeante plus que tolérante (je sais, il ne faudrait pas accoler d’adjectif au mot laïcité, qui normalement se suffit à lui même, mais les débats autour de l’usage du mot montrent que ce n’est finalement pas aussi simple). Une laïcité qui rejoint les traditions iconoclastes, le refus de la sacralisation des idoles, portées par nombre de mouvements spirituels (comme également par les caricaturistes qui sont, d’une certaine façon, les iconoclastes d’aujourd’hui), et avant que les dogmatismes religieux ne les transforment en mouvements violents de destruction des représentations (y compris caricaturales) et de leurs auteurs (et que le capitaine Haddock n’en fasse par voie de conséquence une injure).
Je dois dire toutefois que je ne prise guère le terme de « spiritualité laïque » sur lequel il conclut son travail et que je n’utilise jamais pour qualifier la mienne : pour moi la laïcité n’est pas une source de spiritualité, mais une exigence, qui a d’abord une portée juridique, et que doivent donc respecter les spiritualités, toutes les spiritualités -et donc aussi les religions qui en sont souvent les incarnations historiques et institutionnelles-, pour respecter la liberté spirituelle à laquelle il appelle ; c’est pour moi le sens que l’on pourrait donner à l’expression de « spiritualité laïque » : toute spiritualité qui, quelles qu’en soient les sources et les manifestations, respecte les principes de laïcité. Mais je me retrouve bien en revanche dans l’idée qu’en laissant vide l’espace du sacré, la laïcité participe d’une forme d’exercice spirituel ouvrant à une spiritualité apophatique (ce qui serait peut-être une terminologie plus adaptée, n’était ce qualificatif guère connu du public), une spiritualité s’inspirant de la théologie négative et qui conduit à déconstruire tout discours sur le divin, toute représentation de Dieu, en considérant qu’il reste inatteignable par l’esprit humain, une spiritualité qui cherche à atteindre ce « nuage d’inconnaissance« , cet ordre de connaissance différent de celui du corps et de l’esprit, et qu’on ne peut probablement atteindre qu’à travers le langage de la poésie, de la musique, des formes et des couleurs, …. et du silence.
Ce qui n’empêche pas d’essayer de trouver des mots pour dire cette quête, ce que nous aide à faire le livre d’Abdennour.
Paris, Croulebarbe, le 13 novembre 2021.
Post-scriptum : Il y a aussi dans ce livre de nombreux développements sur l’islam sur l’islamisme et ses variantes djihadistes que je partage largement mais n’évoque pas ici car cela ne me semble pas être son apport essentiel, et qu’il ne faudrait pas réduire Abdennour Bidar au statut de « philosophe musulman », comme on le fait trop souvent.
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