« Il n’est point besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer ». Après les tentatives sans lendemain de Laurent Joffrin, puis de Yannick Jadot pour sortir la gauche de l’impasse annoncée des présidentielles, c’est surement cette optimisme de la volonté optimiste, opposé au pessimisme de la raison, qui a motivé l’initiative, lancée par une poignée de jeunes comme Samuel Grzybowski, le fondateur de Coexister, avec le soutien de marraines et de parrains qui le sont plus ou moins, de l’économiste Julia Cagé à l’ancien résistant Claude Alphandéry, en passant par la philosophe Dominique Méda ou le journaliste Cyril Dion, de lancer un appel à une primaire populaire pour désigner le ou la candidat(e) qui portera les couleurs de l’écologie, de la justice sociale et du renouveau démocratique en 2022.
Est-ce que cela a une chance d’aboutir. On a toutes les raisons d’en douter, tant il paraît difficile de dépasser le dilemme imposé par le choix gaullien de l’élection présidentielle au suffrage universel : celui du choix, qui plus est autoproclamé, de la personne susceptible de voire se porter sur son nom suffisamment de suffrages pour être présent au second tour, et y être sacré monarque républicain, porteur de tous les espoirs, puis de toutes les déceptions. Mais, il n’y a que les batailles qu’on ne mène pas qu’on est sûr de perdre, et on peut aussi espérer que cette troisième fois sera la bonne, puisqu’elle cherche justement à apporter une réponse à ce dilemme, et en identifier quelques conditions de réussite.
La première est celle de la perspective proposée : il s’agit d’arriver à transformer les quelques idées-forces auxquelles on peut facilement adhérer -écologie, justice sociale et démocratie-, ce que les promoteurs appellent le « bloc des justices » (par opposition au « bloc identitaire » et au « bloc néolibéral »), en projet ; et ce sans tomber ni dans le piège de l’appel incantatoire au grand dessein, l’appel à « changer la vie » ou au « désir d’avenir », ces slogans ambivalents auxquels personne ne croit plus guère, ni dans le piège technocratique du programme dont la réalisation se heurtera à l’opposition des intérêts contradictoires qui traversent la société française. Il faudrait en d’autres termes que le débat des présidentielles permette de tracer les grandes lignes du projet de société que nous souhaitons, et d’en tirer les principes qui permettront au futur président d’exercer la fonction d’arbitrage qui lui est confiée par la Constitution.
La deuxième est celle de la dynamique : il faut, pour être clair, qu’elle soit suffisamment forte pour obliger Jean-Luc Mélenchon à se soumettre à cet exercice citoyen. Au motif qu’il est le premier à gauche dans les sondages, il considère qu’il est le mieux placé pour l’incarner, alors que beaucoup pensent qu’il ne pourra jamais rassembler l’ensemble des électeurs qui pourraient se reconnaître dans ce camp. La méthode proposée qui consiste à classer les candidats sur une échelle de 1 à 7, allant de « très bien » à « à rejeter », devrait permettre de trancher ce dilemme avant le premier tour, à condition qu’il y ait un mouvement de participation suffisamment puissant, pour qu’il soit représentatif de toutes les sensibilités.
La troisième est justement le point d’équilibre auquel aboutira le processus. Le bloc que cherche à rassembler les promoteurs est tiraillée entre des forces contradictoires, sur l’Europe, sur la laïcité ou sur des sujets moins visibles, comme les voies d’une politique économique qui soit à la fois plus sociale et plus écologique. Mais ce n’est pas nouveau, et la droite républicaine l’est tout autant, comme d’ailleurs un centre macroniste dont le « en-même-temps-tisme » cache de moins en moins les penchants bonapartistes et néo-libéraux, et comme aussi une extrême droite dédiabiolisée qui reste soumise à ses vieux démons. La question est de trouver le barycentre d’un espace politique le plus large possible, qui restera donc travaillé par ces tensions.
Tout cela nécessite d’accepter que tous les choix ne se règlent pas à l’occasion des présidentielles, et de redonner du sens à la délibération démocratique. Alors que l’élection présidentielle au suffrage universelle est en train tuer la démocratie, la primaire populaire sera peut-être l’occasion de la revivifier.
Paris, Croulebarbe, le 15 mai 2021.
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