Vérité et justice : c’est sous cette double exigence, fondatrice pour ce journal issu de la Résistance, que j’ai signé l’appel de Témoignage Chrétien (publié ce jour dans le Parisien) à la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire, pour faire la vérité sur les crimes pédophiles dans l’église catholique.
« Vérité et justice, quoiqu’il en coûte », c’est sous cette double exigence que Pierre Chaillet, jésuite lyonnais, réagissant au silence de la hiérarchie catholique et à son soutien du régime collaborationiste de l’Etat français, lance en novembre 1941, avec d’autres chrétiens, catholiques et protestants, ce cri d’alarme : « France prends garde de perdre ton âme ».
« Vérité et justice, quoiqu’il en coûte », c’est sous cette même double exigence que Témoignage Chrétien sera un des premiers journaux à dénoncer, dès novembre 1954, la torture en Algérie et à publier en février 1957, « le dossier Jean Muller », qui a été une des pièces essentielles de cette dénonciation.
« Vérité et justice », c’est au nom de la même exigence que TC appelle aujourd’hui à la création d’une commission d’enquête parlementaire pour faire la vérité sur les crimes pédophiles dans l’église catholique, en même temps que la justice sera rendu aux victimes ; appel auquel je me suis associé.
Vous pouvez aussi vous associer à l’appel sur le site pedophilieeglise.wesign.it/fr site
Vérité et justice, quoiqu’il en coûte
Cet appel à faire la vérité, je le signe d’abord en tant que chrétien. Chrétien- agnostique, comme j’ai eu l’occasion de le développer sur ce blogue, je ne suis ni un « bon chrétien », ni, a fortiori, un « bon catholique ». Mais je me crois autorisé à interpeler une église dans le giron de laquelle je suis né, une institution qui m’a transmis les valeurs évangéliques (comme celle de la fraternité) auxquelles je suis resté attaché, ainsi que, avec ce que les chrétiens appellent l’ancien testament, certains des plus beaux textes de l’antiquité juive ; toutes choses qui sont à l’origine de mes engagements les plus forts ; une église qui a été le creuset de certaines de mes plus belles expériences spirituelles et communautaires.
Je me crois autorisé à interpeler cette institution, ou du moins la hiérarchie épiscopale qui la représente, comme avec mon ami Philippe Warnier, et des centaines d’autres personnes, nous l’avions fait, il y a un demi siècle, sur la question de la procréation médicalement assisté ; hélas avec un succès limité si on en juge par les 118 pages de trop, comme l’écrit Christine Pedotti, que cette même hiérarchie a été capable de produire sur la question de son extension à toutes les femmes, au moment où elle se fendait d’un communiqué de 22 lignes pour recouvrir d’un « voile pudique » le scandale des prêtres pédophiles qu’elle a laissé se développer en son sein. Une église qui se révèle incapable de faire par elle-même la vérité sur elle même.
Mais cet appel je le signe surtout en tant que citoyen. Vérité et justice. La justice doit passer : les coupables de ces crimes (car ce sont, au regard de la loi, des crimes) doivent être jugés et condamnés, ainsi que ceux, quelle que soit leur place dans la hiérarchie, qui les ont couverts et qui s’en sont ainsi rendu complices. Nous le devons d’abord aux victimes ; nous le devons aussi aux enfants d’aujourd’hui et de demain pour éviter que l’impunité ne favorise le passage à l’acte de nouveaux clercs ; nous le devons également à tous ceux qui se sont engagés dans leur ministère avec conviction, sans abuser de leur autorité morale pour abuser des enfants.
Mais la vérité judiciaire n’est qu’une partie de la vérité, car il ne suffit pas de séparer le bon grain de l’ivraie pour faire la vérité. L’ampleur du phénomène, dans le monde entier, oblige à aller au delà de la recherche des responsabilités individuelles pour essayer d’en comprendre les causes. De surcroit, certains faits restent cachés et la justice ne peut donc en être saisie, et d’autres sont prescrits et ne pourront être jugés (et pas « heureusement », comme l’avait malheureusement indiqué le cardinal Barbarin). Comme cela s’est passé dans d’autres pays, seule une instance indépendante, disposant de réels pouvoirs d’enquête, et d’un mandat pour cela, pourra faire la lumière sur ce qui a permis, sur une telle durée, qu’un tel scandale se développe ; et comme, d’atermoiements en atermoiements, l’épiscopat se refuse à en prendre l’initiative, nous avons décidé de faire appel à la représentation nationale, dont les commissions ont ces pouvoirs et dont les membres ont reçu mandat de notre part pour mener ce type d’investigations.
Comme j’avais signé celui des « cathos de la laïque », lancé par le même TC en 1984, cet appel, enfin, je le signe au nom de mon attachement au règime de laïcité qui régit depuis plus d’un siècle les rapports entre la République et les religions, et qui a été consacré par la constitution. Pas plus que celui-ci n’interdit d’interpeler l’islam sur les dérives antirépublicaines de l’islamisme, comme j’ai eu l’occasion de l’exprimer à de nombreuses reprises, notamment sur ce blogue, celui-ci n’interdit à la République de mettre son nez dans ce qui a permis de telles dérives dans l’église catholique. A contrario, le fait qu’il existe au sein de ces communautés des lois propres, ne doit pas faire obstacle à ce que s’applique d’abord la loi commune, celle de la République.
Paris, le 30 septembre 2018
Appel
Nous demandons la création d’une commission d’enquête parlementaire afin de faire toute la transparence sur les crimes de pédophilie et leur dissimulation dans l’Église catholique.
Nous le faisons parce que nous sommes des citoyens et des citoyennes et pour beaucoup d’entre nous des chrétiens et des chrétiennes. Comme toute organisation religieuse en France, l’Église catholique est régie par l’état de droit ; elle n’échappe pas plus que les autres à la loi républicaine, et ceci d’autant plus qu’elle participe à des missions d’intérêt général et bénéficie à ce titre d’aides publiques ou fiscales. C’est pourquoi elle doit, et ce de façon urgente, rendre des comptes. Elle doit le faire devant la justice, mais aussi devant la représentation nationale, car ce ne sont pas seulement des responsabilités individuelles qui sont en cause, mais aussi, comme l’a clairement indiqué le pape François, tout un système.
Ces crimes et leur dissimulation constituent une atteinte grave à l’ordre public. Ce sont des générations entières qui ont fréquenté le catéchisme, les aumôneries, l’enseignement catholique, le scoutisme et les mouvements de jeunesse placés sous l’autorité de l’Église catholique.
Le pape François a beau appeler les laïcs, hommes et femmes, à s’engager pour combattre ce fléau, leurs propres demandes, maintes fois répétées, sont restées lettre morte, singulièrement en France.
Aujourd’hui, dans notre pays, l’Église catholique se contente de répéter les mots du pape sans prendre d’initiative significative pour rechercher les crimes qui n’auraient pas été dénoncés et surtout leurs causes institutionnelles et structurelles. De fait, nul ne peut être juge et partie ; comment ceux qui ont couvert ces dérives pourraient-ils faire ce travail de vérité ? Ailleurs dans le monde, ce sont des instances indépendantes de l’institution ecclésiale, comme la Commission d’enquête royale en Australie, le grand jury de l’État de Pennsylvanie, ou la Commission Ryan en Irlande, qui ont révélé un système de mensonge organisé au niveau des responsables – c’est-à-dire des évêques.
À côté des procédures judiciaires qui permettront de sanctionner les crimes et les délits individuels, du moins quand ils ne sont pas prescrits, seule une commission parlementaire a le pouvoir de faire la lumière sur le passé pour éviter qu’il ne se reproduise, en exigeant la communication des archives diocésaines, en interrogeant les acteurs, et en communiquant à la justice les faits dont celle-ci n’aurait pas eu connaissance.
Il nous importe non pas de faire éclater des scandales mais d’en faire cesser un, immense, celui du silence assourdissant de la hiérarchie catholique devant des souffrances qu’elle a, pour l’essentiel, sciemment ignorées ou même cachées pendant trop longtemps.
Le retour de la crédibilité est à ce prix.
Témoignage chrétien
Vous pouvez vous associer à l’appel sur le site pedophilieeglise.wesign.it/fr site
Post scriptum : merci aux premiers signataires
Jean-Pierre Mignard, avocat
William Bourdon, avocat
Anthony Favier, co-président de l’association David et Jonathan
Anne Soupa, Présidente de la conférence des baptisés
Roselyne Bachelot-Narquin, ancienne ministre de la santé
Daniel Lenoir, ancien directeur général de la Caisse Nationale d’Allocations Familiales
Laurence Rossignol, sénatrice, ancienne ministre de la famille
Marie-Pierre de la Gontrie, sénatrice
Jacques Maillot, chef d’entreprise
Jean-François Rouzieres, psychanalyste
Jean Mouttapa, Éditeur
Jean-Pierre Sueur, sénateur, PS
Jacques Maire, député LREM
François Devaux et Alexandre Dussot-Hezez, fondateurs de L’association La Parole libérée
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