Lu, vu, entendu, Sur le fil

Y a-t-il quelque chose « Après Dieu » ? (sur le dernier livre de Richard Malka)

Je respecte absolument toutes les religions dès lors qu’elles ne cherchent pas à régenter la vie publique, ne limitent pas la liberté de la presse, ne criminalisent pas le rire, ne psalmodient pas des prières au Parlement, ne considèrent pas les femmes comme n’ayant leurs places nulle part dans l’espace public sauf cachées, ne les brûlent pas vivantes lorsqu’elles sont considérées comme déviantes, ne discriminant pas les minorités, n’interdisent pas les enseignements scientifiques, artistiques ou historiques, ne vident pas les bibliothèques sous prétexte de ne pas offenser les croyances, n’aboutissent pas au règne de l’arbitraire, au puritanisme assuré par une police des mœurs, à la polygamie, à l’obscurantisme, à l’exclusion de tout ce qui est différent, en définitive, à une nouvelle ère médiévale.

Voilà un livre qui sera plus utile encore aux croyants qu’aux non-croyant. Dans cette belle collection noire « La nuit au musée » chez Stock (dont on espère que l’intégration dans l’univers Bolloré ne la dénaturera pas), Richard Malka, l’avocat de Charlie Hebdo, raconte sa méditation nocturne devant le tombeau de Voltaire, dans ce musée un peu particulier que la Patrie reconnaissante consacre aux « grands hommes » (et maintenant aux femmes), le Panthéon. L’athée, laïque (d’aucuns diraient laïcard), anticlérical, libre penseur et défenseur de la liberté d’expression ne s’y révèle pas pour autant antireligieux, mais respectueux des croyances et du besoin de croire, même s’il ne le partage pas. Un peu comme le Marx de « la religion, l’opium du peuple » qui y voyait « le soupir de la créature accablée, le cœur d’un monde sans cœur (…) l’esprit d’une époque sans esprit« .

Il y a bien sûr quelques idées un peu saugrenues auxquelles les polémistes, dévots, prosélytes, ou autres tolérants dogmatiques, dhimmis volontaires et croisés de l’offense, s’accrocheront pour déconsidérer le propos de l’avocat, comme celle de remplacer, pour représenter la République, l’effigie phrygienne de Marianne par un buste de Voltaire trônant dans toutes les mairies, ou encore d’en modifier la devise pour la déclarer athée et non plus seulement laïque, ou encore d’imprimer sur les billets de banque une citation du défenseur de Calas et du chevalier de la Barre comme celle-ci : « ceux qui peuvent vous faire croire à des absurdités peuvent vous faire commettre des atrocités ». Mais ces provocations volontaires n’ont d’autre but que de sortir de l’état de meubles auxquels on s’est habitué sans plus les voir nos attributs républicains.

Car s’il pense et médite avec Voltaire, c’est aussi contre lui. Avec lui il dénonce le fanatisme, le prosélytisme et le communautarisme religieux. Mais il pointe aussi les contradictions du philosophe des Lumières, comme son antisémitisme ou son homophobie, ou encore sa défense du luxe et des privilèges.

Pour l’avocat disciple de Robert Badinter et de Georges Kiejman la laïcité, « le produit le plus abouti des Lumières », ne vise pas la disparition du religieux mais sa mise à distance, et plaide, au nom de la liberté d’expression, non pour un « droit au blasphème », mais contre l’existence même de ce « crime imaginaire »  que serait le fait d’insulter Dieu : si Dieu existe il n’a pas besoin des croyants pour le défendre et s’il n’existe pas, où est le crime ?

Fidèle au respect du principe du contradictoire le procès contre les religions est instruit dans un dialogue surréaliste avec un hôte oublié du Panthéon, le cardinal Giovanni Battista Caprara, un des artisans du Concordat de 1801, qui reprend au passage à son compte la thèse de Gauchet sur le christianisme comme « religion de la sortie de la religion ». Un procès auquel participent comme témoins Gambetta, Jaurès, Zola et Hugo, qui évidemment le dernier mot « il faut vous le concéder cardinal, si croire est difficile, ne pas croire est impossible. Terminons-en là, s’il vous plait ».

« Mais croire en quoi ? ». Richard Malka ne répond pas à cette question mais constate que la foi laïque de Ferdinand Buisson reposant sur « la morale, l’art et la science » n’a pas réussi à se substituer aux religions, que « l’homme a besoin de sacré et (que) le sacré les plus accessible reste la croyance en Dieu ».  Il continue donc à chercher une « autre transcendance » un « sens, un rêve, une ambition, un destin » dans « l’embryon de civilisation universaliste, laïque, rationaliste, issues des Lumières voltairiennes » et invite croyants et incroyants à la liberté car « renoncer à sa liberté, ce n’est pas respecter Dieu, c’est insulter la vie et, ce faisant, pour ceux qui croient, c’est injurier le créateur de la vie ».

Paris, Parc Le Gall, le 6 mars 2025

 

 

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